La proxémique.

À deux doigts du confort total . . .

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Les plus âgés d’entre nous se souviendront avec un brin (variable) de nostalgie cette période de l’humanité où les personnes se mettaient en présence physique les unes des autres pour procéder à divers types d’échanges regroupés sous le vocable communication. Une période bénie ou maudite selon l’humeur, lors de laquelle entrer en contact avec les autres individus n’impliquait aucunement l’obligation de s’asseoir seul devant un écran lumineux et un clavier. Les historiens s’entendent généralement pour situer le déclin de cette ère vers la fin des années 90 (vingtième siècle après Jésus-Christ), période à laquelle ont commencé les énoncés typiques et précurseurs de ce déclin: “Je coucoune, tu coucounes, nous coucounons”; “J’ai besoin de mon espace”; “Sors de ma bulle, crétin”; “Je, me, moi, moi, moi” et toute cette sorte de mots.

Et je présume que dans certains recoins de la planète où le câble sert encore à arrimer les chaloupes aux quais et où le ouifi est probablement un petit oiseau au chant insupportable, des individus continuent à se parler de la façon la plus archaïque qui soit, avec leur voix et une panoplie de codes non-verbaux. Des primitifs qui ne connaissent ni textage, courriels, forums et blogs, ou encore de purs esprits rebelles, nostalgiques hippies du retour à la nature ou encore ces hipsters avec des anneaux à des drôles d’endroit qui vénèrent le vintage, le rockabilly et la fille bien en chair. Aujourd’hui, dans ce moment précis de l’histoire il est devenu absolument malaisant de subir l’obligation de se retrouver en proximité directe avec ces individus dans le seul but de communiquer.

L’horreur, je dis.

Si le hasard met sur votre route un de ces hurluberlus, postez-lui* cette charte proxémique**:

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*  du vieux français, méthode pour faire parvenir une copie en papier dans une enveloppe adressée, affranchie avec un timbre.

** Proxémique. Ce mot a été introduit par l’anthropologue Edward T. Hall en 1963. Ce monsieur étudiait les tenants et aboutissants de nos besoins en terme d’espace personnel, la circonférence de nos bulles en quelque sorte. Où commencent et où se terminent nos territoires protégés et comment ceux-ci modulent notre confort. Et comment différentes circonstances ou différentes personnes déterminent comment nous utilisons cet espace et comment nous réagissons aux changements dans les distances. Les mesures varient selon les cultures et les environnements. Par exemple, les tempéraments latins semblent plus confortables en se tenant plus proches les uns des autres pour interagir alors qu’un américain typique veut votre gueule le plus loin possible de sa gueule à lui. Tout ceci est extrêmement intéressant. D’un point de vue bêtement académique cependant.

Encore l’horreur, je dis.

Puis il y a ces choses qui viennent complètement saboter nos zones de confort; des choses comme la recherche déréglée de plaisirs sensoriels et autres pathologies relationnelles. Il y a ces gens qui estiment avoir à vous toucher absolument, qui considèrent que vous n’existez pas tant qu’ils ne valident votre existence eux-mêmes par un rituel incluant, de façon non-limitative, poignage de mains avec usage de force variable, tâtage des avant-bras, tapotage plus ou moins accentué de l’épaule ou de l’omoplate, voire pinçage de la (des) joue(s). Vous connaissez le type. Toujours à distance inconfortable, yeux anormalement allumés, mains moites et trop chaudes, petits rires secs et incontrôlés, émission agressante de petits postillons blancs. Les plus fantasques pousseront l’audace jusqu’à désirer que vous vous alimentiez et vous vous désaltériez les uns en présence des autres et des odeurs corporelles mutuelles que cela implique inévitablement.

Heureusement, fort heureusement, pour communiquer nous possédons maintenant tablettes et téléphones intelligents; la science moderne nous délivre dieu merci de ces moments incongrus et nous permet de rester bien au sec à l’abri des postillons et des mains moites, de maintenir à un strict minimum ces éprouvantes interactions personnelles.

Le temps, à la même enseigne que la distance ci-définie, devient lui aussi un facteur plus que négligeable et secondaire grâce à cette même et bienvaillante science. En effet, pour peu que vous vous rappeliez les noms et prénoms de vos camarades de pouponnière, vous pourrez les inscrire à votre cercle de favoris, autant d’oreilles dociles pour vos élucubrations dans le réseautage social (ou amis). Et vous pourrez simultanément méconnaître jouissivement ce qu’ils ont fait au cours de leurs 30, 40 ou 50 dernières années d’existence tout en sachant quotidiennement dans les plus infimes détails ce qu’ils ont mangé la veille au soir.

Après ça on me dira que ce n’est pas merveilleux le progrès !?!

Flying Bum.

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5 réflexions sur “La proxémique.

  1. Toujours cette distance, cette hauteur de vue qui donne de la perspective aux objets, aussi matériels que virtuels, et dont se nourrit toute philosophie socio-culturelle. Sans doute le qualificatif « flying » adoubé par le « Bum » de différenciation créent-ils cette métaphore si utile à la plume acérée. Aussi ai-je pris plaisir malgré la distance au propos sans devoir couvrir dans l’espace-temps qui m’était imparti la distance nécessaire pour ce faire.
    Merci, ski

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  2. D’autre part, on peut aussi, et sans sortir de cette sacrosainte zone de confort qu’est la virtualisation de nos existences, nourrir nos cervelles en lisant des textes délicieusement ironiques et savoureusement intelligents, comme c’est le cas ici…

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  3. mis mon casque de spéléo pour aller fouiller au fin fond des archives ça me fait bien plaisir de trouver ce genre de filon oublié 😉 La proxémique aujourd’hui je ne sais pas pourquoi ça me fait penser à Mickey et de là à changer la première lettre y a pas loin. 😉 Belle journée cher Luc !

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