Mémoires sucrées

Non, ne vous méprenez pas, je n’ai pas bêtement confié à Google Translate le soin de me traduire Sweet Memories et cela aurait donné ce Mémoires sucrées comme titreMon intention était vraiment d’associer quelques souvenirs d’enfance avec des sucreries bien connues, du moins connues des vieilles couilles de ma génération. Et le graphiste en moi ne pouvait s’empêcher de ramener au passage ces vieilles images d’un passé pourtant pas si lointain pour le bonheur de vos yeux ébaubis.

La bonne vieille gomme Bazooka

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Pour mes fidèles lecteurs, dans mon récit Va pour Loretka!, vous vous rappellerez l’histoire de la petite caméra qu’on avait fait venir par la poste, mon frère Marc et moi, en accumulant des emballages de gomme Bazooka. La petite caméra a connu une triste fin après que Loretka qui nous l’avait volée me l’avait finalement redonnée. Si ça ne vous dit rien, cliquez sur le titre en vert et bonne lecture.

La saveur originale rose-cerise était la meilleure gomme balloune de tous les temps à mon avis mais on l’a aussi vendue bleue avec une saveur de raisin. Bazooka Joe qui a donné son nom à la gomme est un personnage créé spécialement pour le produit et il était également et surtout la vedette de petites bandes dessinées qui enveloppaient chaque morceau de gomme. Peu d’entre nous, cependant, se rappellent s’être décroché la mâchoire devant l’humour épuré de Joe. Pour se la décrocher, on devait se bourrer la gueule d’un maximum de gomme.

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On doit remonter quelque part entre 1952 et 1954 lorsque Woody Gelman et Ben Solomon, les directeurs du développement de produits à la compagnie de confiseries Topps ont approché le bédéiste Wesley Morse pour créer Bazooka Joe et sa gang. Le nom du personnage a été déterminé par un sondage auprès d’enfants américains.

Un fait méconnu et souventes fois dissimulé par l’histoire, Morse qui créa la bande dessinée promotionnelle dessinait également à l’époque des bandes pornographiques qu’on publiait sous le titre de “Tijuana Bibles” ou on les appelait simplement des “Eight-pagers” par discrétion. Ces publications qui étaient généralement commercialisées sous le comptoir ont été très populaires entre les deux guerres et sont considérées aujourd’hui comme les précurseurs des “Underground Comix” des années 60 et 70.

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Bazooka Joe a été traduit dans à peu près toutes les langues mais l’édition canadienne des aventures de Joe et sa gang est la seule au monde qui était livrée en version bilingue. Bazooka Joe est assurément le personnage le plus connu, reconnu et reconnaissable du 20ème siècle grâce en bonne partie à la distribution mondiale du produit. Un des rares personnages associés à une friandise à avoir connu une telle notoriété.

Avec les ventes de gomme balloune en baisse constante, les propriétaires de la marque ont annoncé en novembre 2012 que les péripéties de Bazooka Joe n’apparaîtront plus sur les emballages de la célèbre gomme. Les nouveaux emballages incluront des énigmes, des devinettes ainsi que des instructions et des codes nécessaires pour télécharger des jeux ou autres fichiers sur internet. La compagnie affirme toutefois que le personnage reviendra sporadiquement sur certains produits. Triste fin, Joe, sic transit gloria mundi.

Les Life Savers de mon oncle Aurèle

Tous les dimanches de ma petite enfance ou presque quand nous habitions Bourlamaque, mon oncle Aurèle, ma tante Colombe et ma cousine Jocelyne venaient souper à la maison avec nous. De l’automne jusqu’aux beaux jours du printemps, oncle Aurèle apportait un rouleau de Life Savers pour chacun des enfants, les petits comme les plus vieux. Les grands favoris étaient assurément les 5 couleurs. Ceux à l’orange et aux cerises suivaient de près. Que de merveilleux souvenirs, les chicanes à savoir qui aurait quelle saveur, les échanges longuement négociés bonbon par bonbon et lorsque les plus grands sortaient le dimanche, la joie de les entendre bougonner à leur retour quand nous avions caché leurs Life Savers qu’ils réclamaient encore à grands cris comme des bébés-la-la, bien qu’ils étaient maintenant presque des adultes! Ou de voir la déception sur leurs visages lorsqu’ils réalisaient que nous leur avions laissé les moins bonnes saveurs. Tant pis pour eux autres, ils avaient beau rester à la maison!

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Assez ironiquement, les Life Savers ont été inventés pour offrir une alternative estivale au traditionnel chocolat qui avait la fâcheuse manie de ne pas bien se conserver l’été dans les magasins qui n’étaient jadis pas climatisés. Ils étaient donc destinés à être consommés davantage l’été. Chez nous, c’est l’hiver que l’oncle Aurèle nous les apportait. Et le nec plus ultra, c’était de recevoir la grosse boîte en forme de livre qui contenait plein de rouleaux comme cadeau de Noël.

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C’est un monsieur du nom de Clarence Crane qui a inventé la célèbre friandise à Cleveland Ohio en 1912, monsieur Crane était le père de celui qui allait devenir le célèbre poète américain Hart Crane. Il n’avait aucune machinerie pour produire les bonbons de son invention et initialement il appointa un fabricant de pilules pour presser le bonbon à la forme convenue. Aussi tôt qu’en 1913, il vendit l’idée et les brevets au gouverneur de New York de l’époque, Edward Noble, pour 2,900.00$. C’est lui qui décida du format tubulaire typique de l’emballage qui se faisait à la main jusqu’à la fabrication d’une machine spéciale par le frère de Noble, Robert Peckman Noble, en 1919. À cette époque, on commercialisait une dizaine de saveurs. Ce n’est qu’en 1925 que le trou caractéristique est apparu au centre du bonbon. Les différentes saveurs se sont multipliées, d’autres disparaissent ou reviennent au gré des goûts changeants de la clientèle. Au fil des ans, la compagnie est passée dans plusieurs mains pour être finalement achetée en 2004 par Wrigley’s.

Jusqu’en 2002, la production des Life Savers se faisait au Michigan. La vieille maison mère où on a fabriqué le bonbon de 1920 à 1984 à Port Chester, New York, a été convertie en édifices à logement mais on y a préservé plusieurs éléments associés à son histoire. L’édifice est aujourd’hui classé au registre américain des sites historiques. À cause d’un avantage concurrentiel du prix du sucre notamment, la production des célèbres Life Savers a été relocalisée en 2002 . . . à Montréal!

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De ma collection personnelle, quelques emballages d’époque remasterisés de mes blanches mains (et des touches de mon Mac)

Vivement l’été!

Quand l’été arrivait enfin sur mon Abitibi natale, en dehors de la pure joie et des merveilles des métamorphoses de la nature et toute cette sorte de choses bien poétiques, un changement MAJEUR s’opérait dans nos vies. Ce n’étaient plus des Life Savers que mon oncle nous apportait le dimanche, mais bien des Popsicles!

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Un peu avant la création de Bazooka Joe, Woody Gelman et Ben Solomon avaient créé un autre personnage qui sera connu sous le nom de Popsicle Pete, personnage qui est apparu sur les emballages et dans les publicités de Popsicle pour des décennies.

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Mais la confiserie Topps qui employait ces deux cracks du marketing n’a pas inventé le Popsicle, friandise glacée que je n’ai besoin de décrire pour personne. La seule friandise pour laquelle on a besoin d’un coin de mur ou d’un bord de comptoir avant de pouvoir la savourer un morceau à la fois.

Les friandises glacées comme telles remontent aussi loin que la Rome ancienne lorsque les esclaves étaient envoyés sur les sommets glacés pour y redescendre avec des blocs de glace pour les besoins de leurs maîtres. Ils s’en concassaient en petits morceaux qu’ils mélangeaient avec des fruits broyés ou des sirops d’épice pour se désaltérer après leurs durs efforts. Marco Polo lui-même a goûté au sorbet sous les auspices de l’empereur chinois Kublai Khan. Dans l’histoire plus récente, le président américain Thomas Jefferson servait sorbets et coupes glacées à ses invités de prestige. Mais aucun de ces délices ne possédait ce petit quelque chose de très particulier, propre au Popsicle: une poignée de bois.

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C’est à Frank Epperson, un garçon de 11 ans, que l’on doit l’invention du Popsicle. Et comme c’est souvent le cas pour les grandes inventions, celle-ci fut un pur fruit du hasard ou des circonstances. Frank vivait à Oakland, en Californie, et en 1905 il oublia un mélange d’eau, de soda en poudre et de jus de fruit dehors avec un bâtonnet à café dedans, bâtonnet qui lui avait servi à mélanger son breuvage. Et parlez d’un hasard, cette nuit-là, les températures ont chuté sous le point de congélation en Californie! Quand Frank a retrouvé son verre le matin suivant, son breuvage était complètement gelé, le bâtonnet pris dedans. Il l’a alors simplement passé sous l’eau chaude pour en faire décoller le mélange et l’a goulument léché en le tenant par le bâton. Et voilà. Le petit Frank savait qu’il tenait là quelque chose de bien plus grand que ce qu’il avait au bout des doigts.

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Il a expérimenté différentes versions de son invention pour la plus grande joie de ses amis et une fois adulte, il a continué d’en fabriquer pour ses propres enfants. En 1923, il a finalement déposé un brevet pour son Popsicle. Jusque là, il appelait son invention un Eppsicle (glaçon de Epp) de son nom Epperson. Ses enfants ont insisté pour le nom de Pop’s sicle (le glaçon de papa) et le choix final s’est arrêté sur Popsicle. C’est à la faveur de la grande dépression que la version à deux bâtons est apparue. Epperson voulait que deux enfants puissent profiter de la gâterie au prix d’une seule qui jusque-là venait avec un seul bâton. Il fallait aimer les enfants tout de même.

Comme mon oncle Aurèle, qui était tout sauf chiche. En effet, nous avions droit à chacun un plein Popsicle à deux bâtons. Et bien qu’il nous invitait toujours à le casser en deux et d’en garder un morceau pour la semaine, rares sont les Popsicles qui traînaient encore au frigo lorsque nous gagnions nos lits le dimanche soir. À part peut-être ceux des grands qui rentraient tard et qui retombaient en enfance littéralement, des ti-culs de cinq ans chaque devant le gros congélateur de la cave, quand venait le temps de savourer nuitamment le Popsicle que mon oncle Aurèle avait laissé là pour eux.

Un beau grand tour de machine

Dans ma tendre enfance, les enfants ne se promenaient pas en voiture. La voiture était réservée aux transports sérieux. On ne niaisait pas avec ça. Les enfants allaient à l’école à pied, se promenaient en bicycle l’été, on usait nos bottines. Outre les cas de nécessité, de temps en temps on leur faisait faire des beaux tours de machine, comme une faveur, comme on offre un tour de manège au cirque, une “ride” de cheval ou de quelque autre chose du genre. Je peux compter sur les doigts de ma main les fois où j’ai fait un tour de machine avec mon père pour le plaisir de faire un tour de machine.

C’est encore et toujours mon oncle Aurèle qui venait nous chercher les beaux samedis après-midi d’été avec son gros taxi pour nous faire faire un beau grand tour. Il arrivait à l’heure de la vaisselle, tout de suite après souper et nous partions pour l’aventure. On avait été avertis de ne pas manger de dessert. C’est sûr qu’on passerait par la molle.

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Il n’y avait qu’une seule place qui vendait le divin festin d’été dans tout Val d’Or et encore, juste s’il faisait vraiment beau. Nous étions excités tout le long du trajet vers Jacola puis nous mourions d’impatience le temps que mon oncle aille commander nos beaux cornets tournés comme des crottes de chien et qu’ils nous les ramène enfin. On les mangeait assis directement sur le plancher du gros Chevrolet Impala, les deux pattes dehors pour ne pas dégoutter par en-dedans, et un long silence jouissif s’installait le temps qu’on se rende jusqu’au au crounch-crounch que faisait le cornet et qui annonçait la triste fin du régal.

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Puis on se résignait à se décrotter le bec, à rembarquer et à repartir. Mais mon oncle Aurèle savait nous faire plaisir. Il partait du côté du lac Lemoyne où il nous faisait virailler de longs moments, ou il nous montait jusqu’au pont de la rivière Thompson, venait nous montrer les ravages d’un vieux feu de forêt éteint et bien d’autres endroits encore qu’il nous laissait explorer du regard comme un long prétexte. Il laissait lentement descendre le soleil sur Val d’Or, la noirceur s’installer, toutes les lumières s’allumer sur la ville puis il allait se placer et amorçait la descente de toute la 3ème avenue, tout le long de presque Sullivan jusqu’à l’autre bout, à la pancarte Val d’Or en roches rondes, et nous n’avions pas assez d’yeux pour admirer la grande rue de magasins avec ses vitrines et ses néons allumés tout le long, tout le monde qui promenait son char tout propre, les gens qui marchaient sur les trottoirs, heureux dans la douceur du soir.

Dans mes yeux de ti-cul c’était beau comme la strip de Vegas, plus beau même. On ne connaissait rien de mieux de toutes façons. Et on rentrait à Lamaque heureux. Mais on en aurait bien mangé un autre. Facilement.

On va revenir une autre fois, disait mon oncle Aurèle.

Sa voix annonçait le bonheur.

Flying Bum

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À mon oncle Aurèle qui vit tous les jours dans mes pensées.

7 réflexions sur “Mémoires sucrées

  1. J’ai découvert les life savers au hasard d’un séjour linguistique aux états-unis quand j’étais étudiante, je découvre aujourd’hui avec plaisir leur histoire ^^ Les bonbons d' »ailleurs » sont d’ailleurs toujours un cadeau que je rapporte aux petits et grands quand je voyage 🙂

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  2. Ah! Les jours heureux de notre enfance à Val-d’Or. Chaque fois que je lis une chronique du Flying Bum j’y retourne à la vitesse grand V et des centaines de souvenirs refont surface. Une de mes ‘mémoires sucrées’ favorite, c’était le dimanche après la messe, quand papa nous donnait à ma soeur Nicole et moi, un cinq cennes qu’on allait vite dépenser chez Radek d’où on ressortait invariablement avec une boîte de « cracardjake »… Trumpélie

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