Café Caprice

Pour un soir, tu passes à l’ouest. Ta gang de l’est sont tous partis dans le Vieux. La routine. Un fond chez Paul, la nuit chez Queux. Dans l’ouest ils ont davantage de filles, net avantage. Tu vérifies un peu parano si le petit ziplok de mescaline à Tarzan est toujours à sa place dans ta poche. Le pire c’est que la gang de l’ouest est juste plus à l’ouest, pas vraiment dans l’ouest. Laurier, Henri-Julien, encore dans l’est. Et c’est ta fête, mine de rien.

Tu n’es pas nécessairement à ta place dans un endroit comme celui-ci à cette heure-ci. Mais, hé, tu es bien là même si tu n’es pas un cotisant au loyer de la piaule. La soirée a été baptisée et publicisée comme un party alors tout le monde peut être là. La fête de leur gourou tombe la même soirée que la tienne, c’est bien d’adon. Tu es dans un party à te parler tout seul à la deuxième personne, à parler à une fille aussi.

Une belle fille avec des yeux comme si elle venait tout juste de se réveiller, les cheveux en broussaille et un jeans ajusté qu’on peut se demander comment elle a pu entrer dedans. Ou si elle est simplement née dedans. Sandale-orteil afghane de l’Import Bazaar. Blouse indienne blanche qui ne cache aucunement deux mamelons à l’aise là-dedans, bien libres. Tu découvres une O’Keefe bien froide apparue de nulle part dans ta main mais la bière c’est pas vraiment ton truc. Ton esprit reste maladivement fixé au petit ziplok de mescaline et tes doigts hypocrites vont prendre les présences. Il est toujours là. Il attend bien sagement.

Comment tu t’es ramassé là? Ton pote Michel T qui a ses entrées autant à l’est qu’à l’ouest comme un agent double et beau gosse de sa personne. L’autobus 47 Masson direct. Mais il s’est fondu dans la foule, invisible depuis un certain temps. T’inquiètes, il n’est jamais très loin quand il sait que tu as un plein ziplok de la mescaline à Tarzan vu qu’il connaît ton grand coeur.

Tu peux soupçonner qu’il est parti, qu’il a suivi une belle grande rousse avec une robe de hippie que personne ne connaissait vraiment qui s’est faufilée à travers le hangar derrière pour aller prendre l’air dans les marches d’escalier. T a sa réputation à ce sujet. Essayer de charmer les nouvelles avant tout le monde.

Ce genre de fête cumule tout ce que tu haïs dans une fête. Beaucoup trop de Rolling Stones beaucoup trop fort, trop de recoins où ça joue aux échecs, la foule compacte ramassée dans la cuisine à jouer au capitaine Paf, dans un long salon-double à écouter le gourou de la place élaborer un monde meilleur à une foule estudiantine éblouie.

La fille dans les jeans serrés jase en se payant la tronche des Gaulois de Rosemont incapables de battre le CEGEP Maisonneuve. Ses yeux sont maintenant brillants et bleus avec un genre de halo brun tout le tour. Elle parle vaguement d’un quart-arrière à faire mouiller une Saharienne en pleine sécheresse et tu lèves la tête mine de rien et tu te mires hypocritement dans la craque de sa chemise indienne.

Tu te dis fuck, pas d’autre place à aller, tu vas rester un bout de temps, voir. Tu fais le tour, tu regardes dans les alentours, partout. La piaule aurait besoin d’amour, planchers qui craquent, la peinture est due depuis l’expo 67, quelques Picasso de l’ouest ont commis quelques œuvres étranges qui ornent les murs, des draps rigolos qui servent de rideaux sont presque plus beaux que leurs tableaux. Le mobilier, tu passes. Dans un autre salon-double, des gars regardent le Canadien sur une douze-pouces noir et blanc en buvant de la grosse à même les bouteilles vertes. Deux antennes écartillées avec des laines d’acier à chaque extrémité nous relient à l’univers.

Une autre angoisse passe. Tu passes deux doigts dans ta poche, ziplok présent, toujours. Tu te demandes si ça pourrait intéresser la fille dans les jeans serrés. Tu ne connais pas vraiment les habitudes dans l’ouest, difficulté à cerner tout un chacun, les habitudes, les goûts, la consommation, toute cette sorte de choses. Tu prends une gorgée de O’Keefe et tu vérifies le niveau dans la bouteille, elle est encore bonne pour te donner de la contenance pour un temps. Tu ne comprends plus du tout ce que la fille raconte, tout commence tranquillement à avoir l’air d’un Fellini ici, tu te rappelles les deux caps avalés en cachette dans la 47. En fait, ce sont eux qui se rappellent à toi sans trop prévenir.

La fille s’excuse, elle passe ses deux mains sur le haut de ton torse et tu sens passer une chaleur. Elle aimerait vraiment ça s’accrocher les pieds ici encore un peu mais elle doit absolument partir trouver la rousse pour lui dire qu’elle est rien qu’une pute et un trou-de-cul rose de rousse. Les filles sont dures entre elles. La fille avait un plan cul avec T? Pas original. Tu esquisses un sourire pour vérifier si elle niaise mais rien n’indique la moindre intention de rigoler dans son visage maintenant semblable à celui d’une chasseresse à l’affût d’une pauvre biche.

Il doit bien être onze heures, on n’entend plus le hockey. Si tu étais dans le Vieux avec tes potes de l’est, ce serait la dernière heure avant le last-call des brasseries, bientôt le temps de descendre chez Queux en profitant de la marche pour allumer un splif ou deux.

La O’Keefe a toujours une fin. Tu te faufiles cherchant le frigo ou une glacière et tu croises la fille en jeans trop serré dans le passage –en train de serrer dans ses bras une autre fille– avec un coton ouaté beaucoup trop grand pour elle et les mêmes jeans que l’autre. Enfin, les Rolling Stones ont fini de me casser les oreilles, on est rendus à Shawn Philipps. Le gourou semble plus allumé, il fait du lip-sync sur Woman au milieu d’un cercle d’adeptes avec à la main un pilon de poulet frit Kentucky en guise de micro. Tu te demandes où il a pris ça avant de réaliser que tout le monde a un morceau quelconque de poulet à la main, toutes les faces sont ravies et graisseuses, les regards comme des enfants abandonnés dans un magasin de bonbons. Les munchies font du ravage.

Ce qui te ramène à Tarzan. Tu te faufiles dans la salle de bains. Tu sors du ziplok deux capsules et tu te dis, fuck, pas le temps d’attendre le buzz.  Tu les casses en deux comme des œufs minuscules. Tu étales la poudre sur le bord du lavabo, sort un deux piastres de tes poches, tu le roules et tu aspires au plaisir tarzanesque et mexicain. Vlan dans le nez. Ça cogne instantanément par-dessus le vieux buzz pourtant encore bien présent. Mais tu trouves tout de même comment débarrer la porte et retourner dans le party. Pas facile.

T est devant la porte, deux bières dans ses mains. –“T’as envie, quoi? T’attendais-tu après la toilette? T’étais où, cou’donc?”– T répond, –“Je te conte ça en chemin, amène tes fesses je connais une bonne place pas loin pour aller finir ça.” Il t’en tend une bien froide, tu la cales en te frayant un chemin à travers la marée humaine en goguette psychédélique. Tu mets la bouteille vide dans la boîte à malle en passant.

L’air frais te fait du bien et tu en as vraiment besoin, Tarzan ne vend pas de la crotte de chameau pilée, oh que non. T et toi descendez Saint-Denis jusqu’à temps qu’à Gilford, une craque dans l’espace-temps laisse passer une odeur de smoked meat. T veut t’en payer un pour ta fête. –“T’es-tu fou, j’aurais beaucoup plus besoin de boire quelque chose.”

Tu reprends la route vers le sud, le trottoir semble un peu mou sous ton pas incertain. Tu lèves les genoux plus haut, ça règle le problème. T te dit : –“Pas tous les soirs qu’un gars pogne dix-huit ans, on s’en va au Café Caprice.” Tu vas avoir dix-sept ans mais pas du tout le genre à décevoir un ami. Tu n’as jamais été là, mais va pour le Café Caprice.

–“Michel! Michel!” que ça crie derrière nous, une petite voix stridente. Au loin, une grande rousse court en tenant le bas de sa robe hippie d’une main, ses babouches de l’autre, et les mamelles font une chorégraphie de l’enfer dans le mince tissu de la robe. T s’arrête, tu fais quelques pas, la fille le rejoint. Première chose que tu réalises, elle tient T sous le bras et vous marchez à nouveau.

Quelques mononcles Roger font la queue devant le Caprice. Ils se sont vraiment mis beaux! Impossible de voir en dedans, les vitrines ont été remplacées par un revêtement d’aluminium où l’on peut voir icitte et là des trous de balle. Je m’ennuie des Rolling Stones, un disco infernal gagne le trottoir lorsque les portes s’ouvrent pour laisser entrer les prochains mononcles Roger de la file.

Tu te dis que si tu n’entres pas t’asseoir là-dedans bientôt c’est dans la quatrième dimension que tu vas te ramasser. Tu passes deux doigts dans ta poche, inquiet. Le petit ziplok répond : –“Présent!”

C’est ton tour, la porte s’ouvre sous l’habile manœuvre d’un homme énorme en complet trois pièces. Je vois T qui brandit un billet de 10 bien haut pour les grosses paluches de l’homme gigantesque qui le gobe à la volée. Le salaire minimum est à deux piastre et vingt.

–“Installe-le ringside, je te l’abandonne, fais-y attention, c’est sa fête,” que T raconte au doorman qui répond d’un clin d’oeil en mettant le 10 dans sa poche, ”bonne fête Ti-Lou, on s’appelle.” que T te dit rapidement avant de s’engouffrer dans un taxi où la fille rousse est déjà installée. T’as rien vu venir.

Tu fêtes tout seul finalement, une table de deux pieds par deux pieds, trois chaises vides comme compagnons de beuverie. Tu regardes les gens alentour, tu te sens tellement dépareillé, quoi de neuf, mal assorti à cette sous-race de voyeurs endimanchés mais finalement, tu les encules du premier au dernier, assis le premier en avant. Juste à côté de toi une énorme coupe en plexiglass remplie d’un liquide bleu qui ressemble à du windshield washer. L’éclairage change boute pour boute, la musique part.

Je fréquentais alors des hommes un peu bizarres
Aussi légers que la cendre de leurs cigares*

À travers le liquide bleu, tu vois une sculpturale brunette qui s’avance sur la scène juste derrière la coupe géante. Nue comme un ver. Elle agrippe le bord de la coupe, passe une jambe bien haut, tu vois sa vulve bien taillée dans son mouvement pour embarquer. Son trou-de-cul javellisé brille sous les projecteurs une fraction de seconde. Une autre jambe, la fille est toute là, elle se dandine langoureusement dans le windshield washer. Ça siffle et ça hurle partout. Ce n’est pas la première fois que tu crois voir des choses selon les substances et les dosages, mais cette fois-ci tout a l’air totalement réel. Fou malade mais vrai.

Tournée sur le ventre, les mains appuyées sur le bord, la fille te regarde droit dans les yeux. Ses roses mamelons écrasés contre la paroi aussi. Tu lui lèves ton verre, tu le cognes sur l’immense coupe en plexiglass en plein sur un mamelon puis sur l’autre en faisant tchin sur un, tchin sur l’autre.

La fille lèche lentement l’intérieur de la coupe directement devant ta face rouge et ébaubie. Avant qu’elle ne reprenne ses ablutions cochonnes pour la foule alanguie, ses yeux toujours noyés dans les tiens, ses lèvres miment distinctement:

–“Bonne fête, Ti-Lou.”

 


Flying Bum

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*Chanson Femme avec toi, Nicole Croisille.

7 réflexions sur “Café Caprice

  1. La Brasserie du Vieux, c’était St-Laurent et St-Paul… coin nord-ouest…
    … ton texte m’a vraiment ramenée à ce temps-là… c’est surprenant comment t’arrives à rapailler tout ça… pas reposante ta soirée en tout cas…

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  2. « Ce n’étaient que des châteaux de paille
    Et je perdais mon temps dans ce désert doré »

    Tout ça me revient par bouffées en lisant ce texte, c’était bien l’ambiance dans mon coin aussi avec d’autres noms, d’autres mots, d’autres noms de produits tout aussi stupéfiants, en vachement moins pittoresque, moins bien raconté, disons assez brouillon dans ce que j’en sais.

    Mais y avait Nicole et quand j’étais fin fait, elle ne chantait plus guère que pour moi.
    Heureusement y a l’imagination qui sauve quand elle ne nous perd pas.

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