Épouse-moi, Sydney.

C’est novembre et il pleut. Un mardi soir dans un gratte-ciel de Montréal, un ailier gauche offensif transmet nonchallament son herpès à une nouvelle jeune femme, préalablement autorisée à pénétrer la suite de l’ailier gauche offensif, après avoir signé une entente de confidentialité et de non-divulgation qui contient une clause – qu’elle n’avait manifestement pas lue – à propos des risques inhérents pour la santé d’une jeune femme de pratiquer le coït avec un ailier gauche offensif, une clause que l’ailier gauche offensif type a fait unanimement ajouter à la paperasse d’usage au tournant du millénaire, lorsqu’il ne pouvait plus négocier avec la honte de voir sa condition particulière gênante publiée à pleines pages de journaux et discutée partout sur les lignes ouvertes des radios. D’autant plus qu’il peut s’offrir le luxe d’oublier cette condition qui se traite maintenant très bien lorsqu’elle fait le caprice de réapparaître ponctuellement.

Pendant que l’ailier gauche offensif transmettait tranquillement son herpès à la jeune femme, il ne pouvait s’empêcher de penser au fait qu’il ne reverrait jamais plus cette nouvelle jeune femme. Il préfère et de loin les hanches musclées et bien agressives mais les gyrations du bassin de la nouvelle jeune femme sont juste trop timides à son goût. L’ailier gauche offensif considère transmettre l’information à la nouvelle jeune femme, soit de s’animer de façon plus convaincante, mais il aurait préféré et de loin que l’intuition de la nouvelle jeune femme la guide directement vers les correctifs souhaités. L’ailier gauche offensif est frappé d’un éclair d’intelligence sournois qui lui fait réaliser qu’il est parfaitement ridicule de blâmer la nouvelle jeune femme pour son incapacité à lire à mesure dans les pensées d’un ailier gauche offensif, et se rappelle aussitôt qu’il a tout à fait le droit d’être parfaitement ridicule parce qu’il est, selon la presse spécialisée et littéralement des millions de personnes, tout à fait exceptionnel, merveilleux et spectaculaire.

La nouvelle jeune fille émet soudainement une série de sons et de murmures que l’ailier gauche offensif apprécie, et il pense que finalement, il ne donne pas à la nouvelle jeune femme toutes les chances auxquelles elle devrait normalement s’attendre de lui en pareille circonstance. Il se questionne à savoir si son ingratitude par rapport au manque de vigueur des gyrations du bassin de la nouvelle jeune femme ne serait pas plutôt due à son humeur affectée à cause de l’erreur commise en fin de troisième période alors qu’il avait tenté une mise en échec du bassin sur un ailier droit offensif qui s’élançait vertement vers la zone défensive mais la glace était plus molle qu’il ne l’avait jugé et son fessier prêt à frapper avait misérablement échoué dans la bande de bois. Généralement, l’ailier gauche offensif aurait soulevé le pauvre ailier droit offensif par-dessus la bande et directement sur le banc de l’équipe adverse cul par-dessus tête à la plus grande joie débile de la foule excitée et tapageuse à mort. L’ailier droit offensif a ensuite filé comme une bombe, mystifiant carrément le défenseur recrue devant lui et s’est rendu déposer la rondelle derrière un gardien manifestement pas prêt mentalement à la situation malgré une entente récente qui lui valait plusieurs millions de dollars par saison.

Oui, c’est ça, pensait-il, ça doit être ça.

Mais l’ailier gauche offensif est encore préoccupé. Pas parce qu’il avait mal jugé la condition de la glace mais parce que son corps n’était pas focussé sur la glace, il était comme sur un pilote automatique, son corps se déplaçant inconsciemment mû par l’habitude sans que son esprit participe pleinement à son jeu. En réalite, il prenait conscience maintenant des incorrectes assomptions de son corps laissé à lui-même qui l’avait conduit à commettre une telle erreur idiote. Il pensait, lorsque son fessier a raté l’adversaire, qu’il avait complètement oublié de souhaiter un joyeux anniversaire à sa tante Odile. L’ailier gauche offensif se sentait terriblement mal spécialement parce que tante Odile avait suivi sa carrière avec assiduité depuis les premiers matins bleus où elle conduisait un gamin à l’aréna avec une poche plus grosse que lui à transporter, bien longtemps avant qu’on ne puisse voir son visage dans les publicités télévisées et sur toutes ces boîtes de céréales.

La nouvelle jeune femme affirme maintenant qu’elle est sur le point d’orgasmer. L’ailier gauche offensif aime bien la façon dont elle exprime ce fait mais encore ses hanches sont si peu agressives, pense-t-il. Cela constitue une contrariété majeure, selon l’ailier gauche offensif, plus difficile à ignorer, selon lui, qu’un visage plus ou moins hideux même bien rattrappé par toute la science cosmétique du monde. Tout de même , l’ailier gauche offensif se concentre sur la tâche que la déclaration claire d’une jouissance anticipée de la nouvelle jeune femme appelle, c’est-à-dire aboutir lui-même. L’ailier gauche offensif ne peut généralement pas s’endormir le soir sans avoir éjaculé sur ou quelque part dedans la nouvelle jeune femme qu’il a choisie et gratifiée de ses ardeurs et qui ne peut qu’adorer l’idée que l’ailier gauche offensif l’ait choisie personnellement pour pratiquer le coït. S’il ne procède pas ponctuellement à sa quotidienne éjaculation, il tournera éternellement dans son lit et se sentira extrêmement seul et sera hanté chaque fois par cette pensée persistante et horrible qu’il pourrait ne plus jamais avoir de sexe de toute sa vie. Alors, pour calmer son angoisse, l’ailier gauche offensif se rappelle de Boston, de Bridget, une jeune femme qu’il avait sélectionnée après un match contre les Bruins dans les années 90. Il se rejoue les images d’elle en train de procéder sur lui à des choses et ces images sont, ouf, exactement ce dont tout ailier gauche offensif aurait besoin.

Puis, juste avant d’aboutir, l’ailier gauche offensif espère, en regardant hypocritement d’un œil plissé la nouvelle jeune femme aux paresseuses et frustrantes gyrations des hanches décevantes, il espère que Bridget de Boston n’a pas vraiment décidé d’arrêter de tromper son mari, un type nommé Brett que l’ailier gauche offensif s’imagine, bien qu’il ne le connaisse pas sauf que Brett fait partie de ses grands admirateurs, Bridget le lui avait dit, comme un beau gosse grand et musclé, bronzé et au commerce agréable, exactement le genre que les nouvelles jeunes femmes adorent.

Les mouvements de l’ailier gauche offensif dans la nouvelle jeune femme deviennent terriblement désynchronisés par la distraction, l’idée qu’il, lui, pense à un beau gosse grand et musclé, bronzé et au commerce agréable qui serait de surcroît un fan, en cela bien différent de tous ces autres fans pas du tout athlétiques mais ventrus pour la plupart, portant comme des boulimiques toutes les guenilles et la scrap des boutiques d’aréna et parfois même maquillés malhabilement en bêtes bleu-blanc-rouge dans l’espoir d’oublier l’espace d’un match de hockey leur vie triste et misérable qui le demeurera jusqu’à leur dernier souffle.

L’ailier gauche offensif essaie de s’imaginer dans la peau et les fringues d’un homme médiocre comme ces fans ridicules mais il en est tout à fait incapable. Et cette idée le trouble. Il est totalement incapable de s’imaginer dans la peau de personne d’autre, sauf sa propre peau à lui. Pire, est-ce qu’il peut seulement s’imaginer une telle chose? Pourquoi lui, trois fois champion marqueur, détenteur de trois bagues de la coupe Stanley, autrefois recrue de l’année, pourrait-il bien vouloir s’imaginer dans la peau de qui que ce soit d’autre? Il ne sait pas. Mais il sait, dans bref un éclair de conscience, qu’il aimerait tout de même savoir ce que cela pourrait être de vivre dans la peau d’un médiocre pas du tout merveilleux et tout à fait inconnu et ignoré. Il est terrorisé rien que de s’imaginer qu’il pourrait un jour détester cette vie incroyable que Dieu lui a donnée et cela l’amène à craindre. Quelque chose s’est-il déréglé dans son cerveau, le seul fait de désirer quelque chose en bas des hauts standards de la vie d’un ailier gauche offensif se doit d’être causé par une défectuosité de sa cervelle.

Oui, c’est ça, pensait-il, ça doit être ça. Je devrais en parler au médecin de l’équipe.

Avec toutes ces idées pourries qui traversent son esprit, l’ailier gauche offensif se retire lentement et tristement de la nouvelle jeune femme dont les espoirs d’orgasme venaient d’être coupées sec sans façon, qui lui demande presque frénétiquement et les yeux bien humides si elle a fait quelque chose de mal, quelque chose qui lui a déplu? Et ces mots, l’expression des sentiments de la nouvelle jeune femme, ont longuement résonné dans le silence pesant d’un malaise évident.

Ce qui a immédiatement porté l’ailier gauche offensif vraisemblablement en proie à une sorte d’émotion, à se questionner sérieusement, encore, tout en observant distraitement la quantité impressionnante de sperme que son pénis herpétique déversait compulsivement sur le visage de la nouvelle jeune femme.

Pour la première fois de sa vie, se retrouvait-il en train, ne serait-ce que l’espace d’un bref moment, à considérer les sentiments d’une nouvelle jeune femme?


Flying Bum

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6 réflexions sur “Épouse-moi, Sydney.

  1. « On a souvent besoin d’un plus petit que soi ». N’est-ce pas de La Fontaine? Ces mots repris et blague mise à part, juste pour le principe. Et sans volonté sexiste aucune!
    Merci pour le plaisir de lecture.

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