C’est la faute au pain brun

Dans ma tendre enfance dans les années soixante, il existait déjà deux sortes de pain: le pain blanc et le pain brun. Le pain blanc régnait en maître absolu sur toute la province de Québec. Supérieur parce qu’il n’ajoutait aucun arrière-goût indésirable à nos tartines de beurre de pinottes-confitures qu’on dévorait en écoutant Bobino au retour de l’école et son élasticité sans pareille nous permettait plier les tartines en deux sans les déchirer. 073f1a64b58db367cc8d77a27ddfc3f0

Le pain brun, qui était parfois juste du pain blanc bruni avec de la mélasse, était “correct” à l’occasion et possédait sa petite clientèle certes un peu louche et n’était nullement destiné à une consommation quotidienne, cela faisait l’unanimité. Du pain pour immigrants ou pour rachitiques principalement. Et puis, les choses ont sournoisement commencé à changer, comme c’est généralement le cas pour les choses qui ont la mauvaise habitude de se mettre à changer quand tout allait déjà très bien comme ça.

Groucho

Dans le temps du pain blanc, Groucho Marx lui-même nous vantait les mérites, cigare au bec, de la céréale avec assez de sucre dedans pour tuer un diabétique.

Des commandos granolas de chevaliers de la santé se sont formés ici et là et ont commencé à soulever des idées de retour à la nature, inventer des choses comme les aliments biologiques et l’agriculture équitable et dans le temps de le dire, notre bon vieux pain blanc a été déclaré poison vif pour l’humanité, le gluten sa nouvelle cigüe. On décréta unilatéralement qu’une vie pleine et entière dans la santé et dans la joie ne devenait plus possible sans la fibre, le transit intestinal régulier et la selle bien ronde, d’un beau brun légèrement caramel et avec tout juste la fermeté nécessaire pour l’expulser sans douleur deux fois par jour idéalement. Un coup d’état dans la boîte à pain rien de moins, comme si un matin on s’était réveillés sous le nouveau régime totalitaire du blé entier. La farine blanche réagît en produisant du pain blanc enrichi mais nous ne sommes pas dupes, nous savons très bien que ce n’est là que du pain brun blanchi, ce qui n’est guère mieux. La vie comme nous l’avions connue avec du bon pain blanc caoutchouteux était définitivement révolue.

Le pain blanc a tellement été démonisé qu’il est devenu le symbole d’un mode vie carrément inconséquent ou simplement rétrograde et quétaine. Cela devenait l’apanage des banlieusards moyens, clean-cut et modérés en toutes choses, des pauvres du bas de la ville, des nostalgiques de La Famille Stone où les enfants heureux s’empiffraient de piles de tartines sous l’oeil indulgent des mamans ravies.

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Les mères n’allaitaient pas au temps du pain blanc, on mettait les bébés au 7up aussitôt qu’ils avaient une dent à livrer à la carie. Pepsi pouvait nous montrer des fesses et même des bouts de mamelon sans que personne ne monte aux barricades.

La culture des mangeux de pain blanc était née avec pour étendards la naïveté, le consumérisme aveugle et la propension à ne pas trop réfléchir, ne jamais remettre quoi que ce soit en question. Faisaient généralement partie de la culture des mangeux de pain blanc: le bingo et les jeux de société, le bowling, Barbara Streisand et Tom Jones, une fixation sur les fertilisants à gazon et les pesticides, le café instantané, les Pop-Tarts et les TV dinners, les haies de cèdre bien rasées, la droite modérée voire le renouveau charismatique, le vin servi dans des boîtes de carton avec de pratiques petites valves et toutes les sortes de thérapies, pilules légales et autres drogues pour les empêcher de littéralement capoter. Parce que leur cercle social rapetissait à vue d’oeil, on les mettait au ban, on les pointait du doigt, coupables d’être trop “pain blanc”, pire, d’en manger et d’aimer ça.

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La rectitude tout azymuts n’existait pas dans le temps du pain blanc, toutes ces images étaient parfaitement correctes, un enfant ça ne voit pas le mal partout.

Il aurait été grandement préférable quant à moi que ce changement-là ne se produise jamais, ayant grandi à l’ère du pain blanc et grossi à l’ère du pain brun. C’était beaucoup plus simple alors, la vie coulait comme un bonheur tranquille, les gens n’avaient même pas besoin de barrer leurs portes. Il n’y avait que trois postes de télé à regarder et il fallait traverser courageusement huit pieds de shag, trois pouces d’épais, pour aller tourner manuellement la roulette des postes, gosser avec l’antenne quand ça rentrait mal, le journal en papier imprimé ne nous apportait que le lendemain aux aurores toutes les nouvelles qu’on avait besoin de connaître, les gens étaient entraînés tout jeunes pour pouvoir calculer dans leur tête pour de vrai et ne transportaient rien de numérique partout où ils allaient. Les gens se parlaient beaucoup entre eux, une belle paix régnait entre voisins et les enfants s’amusaient beaucoup ensemble, dehors, et pouvaient fort heureusement tirer profit d’un bon coup de strap de temps en temps ce qui les épargnait du ritalin, des étiquettes de TDAH et des ortho-pédagogues toutes choses qui, dois-je vous le rappeler, n’existaient pas au temps du pain blanc.

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Dans le temps du pain blanc, tous ces hommes avaient la syphilis de toutes façons, alors pourquoi se forcer à manger du pain brun?

La science de la statistique nous démontre aujourd’hui hors de tout doute que le pain blanc n’est pas plus nocif que le pain brun qui bénéficie probablement de larges efforts de désinformation de la part des puissants lobbys du grain entier.

La preuve, les russes mangent beaucoup de pain blanc et boivent trop de vodka et sont moins souvent victimes de maladies cardio-vasculaires que les britanniques ou les américains. Les français mangent énormémement de pain blanc, c’est bien connu, boivent des quantités impressionnantes de vin blanc ou rouge et souffrent également de moins de maladies coronariennes que les britanniques ou les américains. Les japonais boivent très peu de vin rouge, ne mangent que très peu de pain blanc et sont moins souvent victimes de cancers mortels que les américains. Les italiens boivent des quantités excessives de vin rouge et mangent beaucoup de pâtes de farine blanche et aussi beaucoup de pain blanc et sont moins souvent victimes d’infarctus que les britanniques ou les américains quand même. Les allemands boivent beaucoup de bière, mangent beaucoup de saucisses, de choucroute, de wienerschnitzels et de pretzels de pain blanc et sont également moins souvent victimes de trombo-phlébites que les britanniques et les américains réunis. Alors la conclusion saute aux yeux, parler anglais est davantage susceptible de vous tuer que la consommation excessive de pain blanc.

La vie est devenue beaucoup trop compliquée pour rien depuis qu’on a condamné le pain blanc.

Flying Bum

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