Au Gigi Pub, le serveur, Juan-Carlo, nous installe sur la terrasse. Il nous apporte des chips de maïs et de la salsa, sans qu’on ne lui ait demandé quoi que ce soit. Nous sommes encerclés par des gens heureux. C’est stupide, des gens heureux quand on y pense. Après quelques rondes, nous réalisons que nous pourrions être heureux, nous aussi. On a tellement bu de sangria qu’on en a oublié de manger, et nous faisons l’amour – la moitié de nos vêtements encore accrochés à nos corps agités – dans l’édifice sommaire deux portes plus loin qui abrite un lave-auto de fortune, et l’une de mes espadrilles Adidas reste coincée dans la courroie d’un convoyeur. Je dois l’abandonner.
Une autre fois au Gigi : deux tourtereaux
Deux tourtereaux, nous rions, croustilles en main devant un bol de salsa et un pichet de sangria. Nous rentrons dans notre nouvel appartement et nous tentons tant bien que mal, éméchés, d’enterrer une espadrille Adidas orpheline dans la cour en arrière, pour la chance se dit-on.
Encore une fois au Gigi : coup de grisou
Comme ça, comme les fragiles éléments d’une ampoule explosent sans prévenir, noirceur-surprise, une chiennerie de maladie venue de nulle part quand ce n’est surtout pas le temps. Tu ne peux pas amener notre bébé fille à terme, et pour toi c’est tout ce qui comptait.
Je voulais juste que tu vives, et j’espère seulement que cela suffira.
Cette fois-là au Gigi : yogourt à la tragédie grecque
Au Gigi, tu demandes de la glace et un verre (pour le vinier en carton de blanc bon marché que tu traînes partout maintenant que tu as la sangria en sainte horreur). Il est 3h15 un mardi après-midi et tu es ronde comme un ballon rouge. Je suis rouge de honte et tu ne veux pas manger. Notre chienne, Charlie le chihuahua – qui a hérité du prénom de la fille que nous n’aurons jamais eue – est portée disparue.
Nous ne le savons pas encore, mais dans quelques jours, ta mère en visite, retrouvera Charlie sur sa route et ira la vendre à l’animalerie du coin. Elle pissait partout. La chienne pas ta mère.
Mais avant ceci, au dîner, après nous avoir débarrassé de ta boîte en carton vide, notre serveur favori, Juan-Carlo, nous avouera en soupirant profondément qu’il s’appelle Gilles.
Au Gigi : parfois cinq années passent sans s’arrêter
Dans mon téléphone portable, quelques noms de filles. Sans plus.
Ici au Gigi, un an aussi ça peut passer : seuls et ensemble
Je te quitte. Ensuite je reviens. Tu me quittes. Ensuite tu reviens. Supplice chinois.
Toujours au Gigi, un de ces quatre : cinq à sept
Nous nous rencontrons à 4h59 pile, à temps pour voir Juan-Carlo-Gilles (maintenant gérant-serveur) allumer le néon du cinq à sept.
Dehors sur la terrasse, nous sommes seuls. Nous ne buvons pas. On se regarde, à peine. Un an depuis la dernière fois qu’on s’est touchés, à peine.
On ne se raconte plus la première fois qu’on s’est vus au Gigi. Le lave-auto deux bâtisses plus loin est fermé, un sans-dessin de Verdun est mort coincé avec une fille dans la grande turbine. Pauvre fille, elle a survécu. Je ne sais pas pourquoi les histoires doivent toujours finir aussi mal mais apparemment c’est comme ça. Pas de chance. Après le cinq à sept, je retourne, seul, dans la cour derrière notre appartement vide.
Dans le mot Noël, allez savoir comment, se cache toujours le mot enfance. J’ai cependant très peu de souvenirs bien vifs de mes Noël d’enfant, je n’ai peut-être pas été enfant assez longtemps. Cette fois où le vent et la pluie s’étaient abattus sur l’Abitibi et que les pauvres madames et les monsieurs en perdaient leurs chapeaux au sortir de la messe de minuit ou se ramassaient le cul à l’eau les quatre fers en l’air. Cette fois où ma tante Colombe avait aménagé le sous-sol de notre maison pour y tenir un vrai dépouillement de sapin. Alain, un de mes grands frères, m’avait offert un bel hélicoptère téléguidé, attaché à une grande tige fixée à une base et qui tournait alentour en montant et en descendant. En me chamaillant avec mon frère Marc, j’étais tombé les fesses sur l’installation qui n’a jamais plus fonctionné par la suite. Des grandes marches dans les rues de Bourlamaque avec Jocelyne, pour faire passer le temps avant minuit, pour voir toutes les maisons décorées et illuminées. D’autres Noël chez les tantes, dans des maisons de bois rond, maisons de mineurs, dans des trois-et-demi bondés où les enfants empilés dans un coin jouaient au bingo pour gagner des pacotilles. Il manquera toujours à mes souvenirs les figures paternelles et maternelles, témoins et piliers de toute enfance digne de ce nom, personnages de Noël aussi indispensables aux enfants que ceux de la crèche le sont au petit Jésus.
***
Voici venu le temps de remercier mon très cher lectorat disséminé dans toute la francophonie mondiale, l’Europe et l’Afrique, mais aussi aux États-Unis, au Royaume-Uni, Angleterre et Irlande, en Finlande, au Brésil, aussi loin qu’en Chine. Merci pour votre fidélité et vos beaux mots.
Malgré ce grand cycle de la vie terrestre qui s’abat sur nous, marqué par les pandémies et l’isolement, même seuls, vivez en paix, soyeux heureux, gardez le courage.
Je vous partage finalement ces superbes mots empruntés à un ami d’outre-mer :
Car s’il n’y avait qu’un vœu vraiment à formuler pour ce nouveau cycle de l’univers, ce serait que tout à chacun retrouve son propre enfant secret comme je ressens parfois le mien. – Patrick Blanchon
Flying Bum
Du Québec, une magnifique chanson de Claude Gauthier, interprétée par Robert Charlebois :
Dans ces années-là, Rosemont était encore un quartier ouvrier des plus modeste. Je fréquentais alors l’école du quartier, une école dirigée par des frères maristes avec déjà plusieurs enseignants laïques mêlés au corps professoral religieux. Dans la grande salle de l’école qui pouvait autant servir d’amphithéâtre que de gymnase, les garçons de septième année étaient tous alignés debout côte-à-côte. Devant eux, assis en indiens directement par terre, un peu pêle-mêle, tous les plus jeunes de la première à la sixième qui écoutaient sans parler. Sur le mur du fond, bien assis sur les plus belles chaises de l’école, celles en chêne blond avec de confortables appui-bras, tout le corps enseignant, le frère Bonneau, obèse directeur reconnu pour sa sévérité et ses doigts parfois plutôt longs, sa secrétaire et le concierge, un monsieur de l’amicale mariste, le curé de Sainte-Philomène avec quelques vicaires et abbés. Derrière la rangée de garçons debout, le frère Côté qui déambule de long en large. Un cancre chante en faussant Gros Jambon de Réal Giguère jusqu’à ce qu’un blanc de mémoire vienne interrompre sa médiocre prestation. Le visage du pauvre garçon passe au rouge écarlate. Quelques rires étouffés mal retenus viennent momentanément briser la loi du silence. Le frère retire sa main de l’épaule du cancre, lui dit d’aller s’asseoir avec les autres. Le frère arpente derrière le long rang d’élèves toujours debout, faisant languir les pauvres garçons; s’il met la main sur l’épaule de l’un d’eux, celui-ci doit commencer à chanter à son tour. S’il ne trouve plus rien à chanter ou si la mémoire lui fait défaut en chemin ou s’il reprend par distraction un air déjà chanté auparavant, il doit abandonner et aller rejoindre le public assis par terre. À la fin il ne reste plus qu’un seul champion. On jouait régulièrement à ce petit jeu mais aujourd’hui, c’était la dernière ronde. Les quatre derniers vivants iraient chanter avec les quatre finalistes de l’école de filles voisine le jour de la remise des bulletins, seul jour de l’année où les garçons de Saint-Jean-de-Brébeuf et les filles de Sainte-Philomène se retrouvaient réunis dans la même salle. Frais débarqué à Montréal en sixième année, comme un indésirable petit “colon” de campagne débarqué de l’Abitibi, je finissais généralement bon deuxième, derrière Daigneault, le parfait petit Daigneault, rossignol à la voix d’or de la grand-messe de onze heures, fils de la présidente du comité de parents et chouchou incontesté des frères maristes. Deuxième, c’était tout de même suffisant pour que j’aille chanter contre les filles.
…
Il y avait bien quelques filles que j’observais de l’autre côté de la haute clôture de broche entre les deux écoles, hypocritement, aux récréations et à la pause du dîner quand les deux cours d’école étaient bondées. Carole Denis, dont je connaissais le nom parce qu’elle habitait sur ma rue et que l’épouse de mon père embauchait sa mère à l’occasion pour des travaux domestiques. Petite brunette de type rieuse et espiègle, avec un corps athlétique auquel la puberté avait déjà commencé à tracer des formes, spécialement celles qui énervent les garçons. Louise Bérubé, notre voisine du deuxième, snobinarde mais néanmoins très jolie blonde qui me rappelait les belles petites polonaises sur ma rue à Bourlamaque quand j’étais tout petit et qui, pour énerver les garçons, trichait en raccourcissant sa jupe d’écolière aussitôt qu’il n’y avait plus de religieuse en vue, exposant beaucoup plus de peau blanche qu’il n’en fallait pour énerver des cohortes de garçons de 12 ou 13 ans. Finalement, et comment ne pas la remarquer, la seule petite fille noire de toute la cour d’école Sainte-Philomène, belle comme un oiseau rare mais j’ignorais encore son nom et son prénom, je travaillais là-dessus. Il y avait beaucoup plus qu’une haute clôture de broche entre moi et ces jeunes filles. Il y avait une conviction sincère qui m’habitait, que j’étais seulement de passage à Montréal, à la première occasion je retournerais en Abitibi, en fugue ou autrement, et je n’aurais d’aucune façon voulu faire de peine à une fille. Quel romantisme innocent, quand j’y repense. Il y avait aussi cette barrière sociale malicieuse entre les gens natifs de Montréal et les “colons” comme moi venus des régions dont on se payait la tronche à la première occasion. Mais lorsque le regard de l’une de ces filles se tournait furtivement vers le mien à travers les mailles de broche, la puissance de la testostérone naissante avait tôt fait de me faire oublier toutes ces barrières. Il ne restait que la barrière invisible mais bien présente de la timidité à franchir, la montagne des émois à escalader et cela appelait en moi les plus souffrants mais les plus beaux malaises du monde dont je me souvienne. Et le soir venu, des soupirs gros comme la lune qui m’accompagnait dans la coupable découverte toute solitaire de l’exultation du corps.
…
Dans ces années-là, dès qu’une chanson brûlait les palmarès en Angleterre ou aux États-Unis, les gogos locaux se précipitaient sur leurs crayons pour pondre une traduction française, fût-elle boboche et bâclée au possible, et passaient la nuit même en studio à endisquer leur version sur des arrangements vite faits. Il fallait battre la compétition à tout prix. Il est même arrivé quelques fois que deux versions de la même chanson sortent le même matin dans les radios de la province. J’avais besoin de battre le rossignol à Daigneault lors de cette ultime compétition. Je voulais finir en tenant la meilleure chanteuse de l’école des filles par la taille devant une foule aussi excitée qu’ébaubie de voir un “colon” de l’Abitibi voler la palme au petit rossignol de Rosemont. À la guerre comme à la guerre, dans les semaines avant la compétition, j’avais appris plusieurs nouvelles chansons pour être bien certain de ne pas manquer de munitions. Jusqu’à la veille même du concours, les oreilles soudées à la radio, enregistreuse en mains, j’attendais la grande nouveauté du jour pour porter le coup de grâce à ce Daigneault de merde que je m’imaginais en train de dormir profondément sur ses lauriers. Imaginez ma chance, une chanson était débarquée le soir même, directement de Paris où elle enflammait déjà les palmarès comme un baril de poudre à canon. Même pas besoin d’attendre la version française des gogos de chez nous. Et cette chanson allait même devenir un succès boeuf sur une bonne partie de la planète, j’allais frapper un grand coup, c’est sûr.
…
Quand j’y pensais sérieusement, je me disais qu’aucune fille pour laquelle j’aurais pu avoir de l’intérêt pouvait utiliser mes origines abitibiennes contre moi, ce serait trop injuste. Élevé dans un véritable melting-pot des nations à travers les enfants de mineurs venus de l’Europe de l’est, de l’Europe danubéenne, d’Angleterre ou même d’Asie, ma mère me disait toujours que sa grand-mère était venue de Pologne à quinze ans, les aïeux de mon père étaient venus de Normandie il y a plusieurs générations de cela, que nous étions tous venus d’ailleurs, que nous étions tous pareils dans le fond. Je ne serais jamais un montréalais tout comme je ne pouvais pas passer directement de l’enfance à la vie adulte. Je devais m’habituer à vivre dans un monde plutôt ingrat pour un garçon de mon âge, de région, qui veut se faire une blonde à Montréal. Je voyais dans le concours de chant la plus belle opportunité de me faire voir sous mon meilleur jour par Carole Denis, Louise Bérubé et peut-être même la charmante petite fille noire dont j’ignorais le nom. Peut-être même la chance de m’intégrer un peu plus dans l’identité montréalaise et de faire oublier mon statut de “colon”.
La semaine avant le concours j’avais vu Carole Denis et Louise Bérubé marcher bras-dessus bras-dessous avec les frères Gagnon sur la rue Masson. Deux grandes fripouillles boutonneuses qui se voulaient la terreur de la rue Dandurand et qui avaient toujours les goussets bien remplis des fruits de leurs multiples petites rapines malhonnêtes. Je pensais bien que mon chien était mort avec elles. Je les ai vus entrer tous ensemble au Canada Hot Dog. Le seul charme que les Gagnon, laids comme des poux, pouvaient utiliser pour s’attirer les filles était leur capacité à les empiffrer de cheeseburgers-frites, de hot-dogs et de Coke à volonté. Tant pis pour elles, avais-je pensé, elles avaient beau se laisser aller dans les cheeseburgers et les frites graisseuses si le coeur leur en disait, elles avaient bien le droit de prendre de l’avance à se faire pousser un gros cul de future bonne femme de Rosemont, avais-je pensé sous le coup d’une déception certaine et de la plus mesquine jalousie.
…
Les frères avaient aménagé à même la grande salle une sorte de loge, une structure de tubes d’acier encerclée de rideaux noirs. J’étais arrivé un des premiers et je relisais mon cahier de chansons quand le frère Côté est venu me voir.
–“Est-ce que tes parents vont venir, jeune homme?” m’a-t-il demandé.
–“Mes parents?”
J’ai ouvert une craque dans le rideau noir et j’ai vu les seize chaises où devaient prendre place les parents des huit finalistes. J’avais peur que le frère aie procédé à des invitations sans m’avertir. Trop préoccupé ou distrait, ou par exprès allez savoir, je n’avais parlé à personne de cette compétition. Quelques chaises étaient déjà occupées mais aucun signe de la famille. J’ai refermé le rideau.
–“Ils sont probablement en retard,” que j’ai répondu tout bêtement.
Aurais-je pu tout simplement oublier d’en parler? Toutes ces longues heures de mémorisation et de pratique caché dans le fin fond de la cave n’étaient certainement pas destinées à impressionner mon père ou son épouse. Je ne voulais pas qu’ils soient là. J’avais mon propre agenda.
Lorsque les autres garçons sont arrivés, Daigneault la grande vedette en dernier naturellement, j’ai rangé mon cahier de chansons et je me sentais prêt, confortable, confiant. Les efforts que j’y avais mis devenaient payants. J’ai même senti que mon attitude décontractée avait semé un inconfort chez les autres garçons. Puis, le frère Côté nous avait donné les consignes de politesse puisque soeur Catherine viendrait bientôt nous présenter les quatre filles finalistes. Je savais d’ores et déjà que Carole Denis et Louise Bérubé n’étaient pas parmi elles. Je le savais parce qu’on me l’avait dit, mais aussi parce que je savais qu’elles chantaient comme deux dindes sur le point d’être égorgées. Je les avais déjà entendues chanter dans les balançoires du parc Pélican. Mais elles seraient dans la salle. Puis les filles sont entrées dans la loge de fortune à la suite de sœur Catherine. Et elle était là, la petite fille noire. Elle s’appelait Cindy Garcia et malgré un vocabulaire français de loin supérieur aux cancres de ma classe, elle avait un léger mais ô combien charmant accent qui lui venait de sa famille anglophone originaire de Porto Rico mais qui avait aussi vécu aux États-Unis. Il était aussi fascinant pour moi de voir les filles autrement que dans leur uniforme scolaire de tous les jours. Les familles avaient mis le paquet sur les vêtements des filles. Généralement, dans le Montréal de ces années-là, les anglais étaient les riches d’office et les canadiens-français les gueux. Il faut croire que l’ordre des choses changeait avec la couleur de la peau. Cindy Garcia détonnait à travers les autres filles dans sa robe de bazar de sous-sol d’église, quelques mailles apparentes dans ses bas trois-quarts blancs et ses petits souliers vernis qui trahissaient leur âge malgré un cirage zélé. Le jupon de la pauvreté dépasse toujours un peu sous les robes de la misère. Mais je m’en foutais, Cindy Garcia était de loin la plus belle à mes yeux. Lorsque nous avons été présentés, elle n’avait pas pu retenir un timide sourire probablement adressé à mon visage soudainement rouge pompier. Et à la main tremblante et moite qu’elle avait délicatement serrée en me regardant droit dans les yeux.
Les discours officiels avaient duré un mois et demi avant qu’on vienne nous aviser de sortir et de se placer chacun sur notre espace désigné pour amorcer la compétition. On nous avait annoncé à la dernière minute que les règles différaient quelque peu pour cette occasion spéciale. C’était la première fois que la compétition rassemblait garçons et filles. On garderait d’abord le meilleur garçon et la meilleure fille qu’on opposerait en finale en leur faisant chanter au complet une chanson de leur choix. Le public choisirait le grand vainqueur par applaudissement. J’ai alors fixé le rossignol de Rosemont droit dans les yeux avec un regard théâtral qui lui lançait au visage des poignards en feu et je suis sorti le premier de la loge en regardant droit devant, en lui marchant sur un pied au passage.
Bien installé sur mon X, quelque chose de spécial doit s’être produit. En voyant les deux sièges de la famille vides, j’ai compris qu’il n’en tenait plus qu’à moi maintenant et j’ai chanté comme je n’avais jamais chanté auparavant. Et quelque chose d’autre s’est produit. Lorsque le frère Côté enlevait sa main de mon épaule pour passer à un autre garçon, j’entendais la salle applaudir. Je ne pouvais faire autrement que de ressentir ces applaudissements comme une surprise hallucinante et bouleversante à la fois. Je n’étais peut-être plus un petit colon d’Abitibi tout d’un coup. Et les chansons sont venues l’une après l’autre, facilement et naturellement, sans bavures ni fausses notes et des têtes tombaient au fur et à mesure. Puis, quand il ne restait plus que moi et le chouchou du côté des garçons, le frère Côté, un sourire frondeur au visage, a mis la main sur l’épaule de Daigneault. Un silence pesant a envahi la salle un long moment. À la surprise générale, Daigneault stoïque s’est lentement mis à regarder le sol, à renifler, assailli par des soubresauts intempestifs et le frère gardait toujours sa main sur son épaule, beaucoup plus longtemps que de coutume. Aucun son ne sortait de la bouche du chérubin à la voix d’or. Et on a entendu du fond de la salle un garçon crier, “T’es fini Daigneault, tu voé ben, va donc t’assir à c’t’heure!”
Le frère Côté a retiré sa main, furieux.
…
Cindy Garcia attendait, seule dans la loge. Son visage s’est illuminé lorsqu’elle m’a vu entrer.
–“Tu as été vraiment super, les gens étaient avec toi!” me dit Cindy.
–“Toi aussi tu as été franchement et de loin la meilleure,” que je lui réponds en réalisant ébaubi qu’une jeune fille noire pouvait rougir, au moins changer de coloration un brin.
–“Est-ce que ça t’intimide d’aller en finale contre moi? Contre une fille, je veux dire,” me demande-t-elle
–“Aucunement, rien que d’avoir battu le petit rossignol des frères maristes, j’ai déjà ma victoire. Le frère s’est acharné sur moi mais j’étais fin prêt, il me restait des chansons en masse, je n’ai même pas utilisé mon arme secrète.”
–“Je t’ai déjà remarqué, tu sais,” qu’elle enchaîne, “j’ai bien vu que tu m’observais dans la cour d’école.”
–“Ah oui?”
–“Mais ça ne me dérange pas,” continue-t-elle, “je t’observais moi aussi.”
Je ne savais plus où me mettre ni quoi dire. Les deux jambes sciées, complètement sous le charme de Cindy Garcia qui semblait loin d’être insensible elle aussi. Carole Denis et Louise Bérubé pouvaient se bourrer la face de cheeseburgers pour le restant de leurs jours si ça leur tentait et venir le cul quatre pieds de large. Je ne sais pas d’où m’est venu le courage mais je lui ai demandé :
–“Dans quel coin tu habites, on pourrait peut-être se faire une petite fête de champions quelque part cet été, non?”
–“Ce ne sera pas possible,” qu’elle m’a répondu le visage soudainement métamorphosé par une tristesse évidente, “on déménage la semaine prochaine, la famille s’en retourne à New York. Mon père a épuisé tous ses recours. Un rond-de-cuir de l’immigration a ordonné qu’on quitte le Canada, mon père n’a jamais réussi à avoir sa résidence.”
Ça ou un voyage de briques sur la tête . . . j’ai donc appris les émois amoureux par la logique polonaise inversée, j’ai eu ma première peine d’amour avant même d’avoir véritablement eu une blonde. Après un long et malaisant silence, Cindy m’a demandé ce que je chantais en finale. Il me restait le super tube arrivé hier qui faisait déjà trembler l’Europe et que personne ne connaissait encore ici. Alors j’en ai profité pour tricher un peu.
–“J’ai une chanson rien que pour toi, ça vient de Paris et c’est tout nouveau, ça s’appelle Adieu jolie Cindy.” Évidemment j’ai falsifié les paroles originales qui parlaient plutôt d’une Candy. Elle avait rougi encore une fois.
Sœur Catherine venait nous avertir à travers le rideau qu’il fallait se préparer à monter. Elle s’est levée, je me suis levé et je lui ai souhaité bonne chance avant qu’on quitte la loge. Elle s’est approchée et elle m’a embrassé rapidement sur la bouche avant de tourner les talons vitesse grand V et aller se placer sur son X. Elle a livré une superbe interprétation d’Amazing Grace et elle a remporté une victoire bien méritée.
Lorsque que les rubans nous ont été remis, sous les applaudissements, le photographe du journal local nous a placés un à côté de l’autre, m’a fait passer un bras derrière elle, ma main sur sa hanche délicate. Un fier petit “colon” d’Abitibi et une pauvre enfant noire déportée avaient volé le concours aux méprisants petits montréalais. J’ai vu sur les joues de Cindy Garcia descendre quelques larmes, on pouvait les voir sur la photo du journal.
…
J’ai marché jusqu’à la maison. J’étais tellement troublé. De plus, j’étais aussi quelque peu embarrassé de n’avoir rien dit à mon père, alors je suis rentré en catimini, sans rien dire. Je ne sais pas combien de temps je suis resté avec la conviction que la grandeur de l’amour se mesurait à la hauteur des barrières qui nous séparent de ceux qu’on aime, des mois, des années peut-être. J’espérais bien que quelqu’un noterait quelque chose dans mes humeurs, m’aiderait à comprendre cette sorte de choses. Une mère, par exemple. Ou un père. Mais rien de tout ça ne s’est passé.
J’avais intercepté la livraison du journal local et découpé la photo avant qu’on ne la voie à la maison. J’ai broché le ruban sur la photo et je les ai faits disparaître dans un livre à moi. Je la regardais occasionnellement le coeur un peu patate. Des années plus tard, je l’ai sortie de sa longue cachette et je l’ai accrochée sur un babillard au-dessus de mon bureau dans ma chambre. Un jour, mon père l’a vue et m’a demandé ce que c’était. J’aurais voulu lui dire que c’était la première fille qui m’avait déchiré le coeur, que ce concours était la façon que j’avais trouvée pour me prouver que je valais mieux que mon statut de petit “colon” d’Abitibi, de passer de l’enfance innocente à la vie de jeune adulte, de découvrir par moi-même si l’amour était la plus belle ou la plus cruelle chose au monde. Mais, connaissant mon père, je ne lui ai rien dit de tout ça.
Je lui ai dit que j’avais gagné la deuxième place dans un concours chez les frères maristes en septième année et il m’a simplement dit :
Finalement, en cette année de pandémie, ce sera un Noël bleu. Dans le sens de Ah, la vache! et surtout dans le sens musical du blues, la vache n’étant-elle pas elle-même le plus beau blues du monde animal, n’en déplaise à une amie poète. Triste à brailler un Noël-blues. Que voulez-vous, comme disait le chrétien, on va vivre avec. Un grand blues qui passe pu dans’porte.
Pour quand même faire vivre l’ambiance, pourquoi ne pas vous refiler ce texte tout à fait approprié pour un Noël à pleurer dans la chaleur de votre foyer (la maison, pas le feu de foyer). Je viens de l’écrire cet automne et j’ai regretté de ne pas avoir attendu à Noël pour le publier, mais bon. Voici le lien pour Chroniques du péché mortel qui raconte en quatre épisodes une histoire d’amour tabou –péché– qui se déroule dans trois veilles de Noël réparties sur trois décennies.
Ou encore ce vieux conte d’une autre époque, l’époque des cheveux crêpés et du spray net qui se passe une veille de Noël en Abitibi, voici Noël Mauve.
Et finalement, dans un style davantage folklorique je vous suggère Le blanc Noël de Noël Leblanc qu’on ne doit pas aller jusqu’à lire à des enfants tout de même.
Parmi toutes les choses qui ont dû être annulées en 2020, il y a notamment la sortie de mon premier bouquin Abitibies femmes de ma vie dont la sortie aura vraisemblablement lieu en 2021 si Allah est grand. Ne le cherchez donc pas sous votre sapin inutilement, aucune chance qu’il soit là cette année. Pour vous titiller un peu le pompon, voici la couverture et le texte de la quatrième.
Entre une enfance innocente dans l’Abitibi des années soixante, la mort prématurée d’une mère qui force l’exil déchirant d’un enfant dans la grande ville et l’adolescence perturbée d’un garçon déraciné et déboussolé, naîtront des amours sincères et sans jugement pour des femmes troublées, perdues.
Des madames seules qui peuplaient un bout de rue de Bourlamaque, une petite fille qui aimait un peu trop jouer au docteur, une petite voleuse, de pauvres femmes bouleversées et bouleversantes qui jetteront leur dévolu sur le jeune garçon mais encore des amours de son âge, des femmes qui aboutiront, en vrai comme en rêves, en passagères éternelles de son coeur.
On assiste de l’intérieur à l’éveil du coeur et du corps, un parcours initiatique raconté avec une honnêteté et une sincérité rares.
Tellement de choses repoussées qu’il va se créer bientôt des strates de projets mis de côté. Tellement de temps qu’un deuxième bouquin en est presque rendu lui aussi à sa publication. Je vous agace encore un peu.
Ce recueil aurait pu s’intituler tant de choses, finalement. Mais il y a un os entre tant de choses et toute cette sorte de choses. C’est la sorte. Toutes sortes de choses qui, regroupées par la sorte, deviennent donc toute cette sorte de choses. Toujours est-il qu’il demeure un recueil de textes parus sur mon blogue, la plupart révisés de légèrement à drastiquement et choisis pour ce fil ténu presqu’invisible qui apparaîtra lentement au lecteur attentif. Beaucoup d’autofiction encore présente comme un passage obligé. Entre l’autobiographie qui s’infiltre sans façon dans tous les textes premiers et le texte totalement fictif, tant soit-il qu’un auteur puisse totalement faire abstraction de sa nature ou de son vécu dans ses écrits.
L’autofiction est un genre littéraire mal compris ou mal-aimé qui se définit par un pacte oxymoronique entre deux types de narration opposés : un récit fondé sur le principe de trois identités – l’auteur est aussi narrateur et personnage principal – et le type de récit qui se réclame de la fiction dans ses modalités narratives. L’autofiction laisse une place prépondérante à l’expression libre et créative dans le récit de soi. Personnellement, il n’est pas encore évident si ce style est le mien ou un passage obligé entre la puissance de l’égo et la fiction pure à laquelle je pourrais éventuellement aspirer sous forme de roman ou de poésie, par exemple.
Je vous laisse avec le souhait que vous passiez un bon moment de lecture, de découverte, de joie, d’émotions et de . . . toute cette sorte de choses.
Si tout se déroule normalement, chose qui se produit plutôt rarement par les temps qui courent, les deux titres risqueraient d’être lancés simultanément au –ou en marge du– Salon du Livre de l’Abitibi-Témiscamingue qui se tiendrait à Val d’Or en 2021. Un second lancement pour la région de Montréal suivrait. Les deux titres seront disponibles sur commande et si Allah est grand, dans quelques librairies indépendantes.
Je vous invite à utiliser tout ce temps que le confinement vous offre pour visiter mon blogue et vous familiariser avec tous ses outils de navigation, y lire abondamment à même la quantité de textes qu’on y trouve et même aimer, commenter et partager – ou encore détester mais être des plus discret à ce propos– le feedback des lecteurs étant toujours accueilli dans la plus grande joie. Je remercie mes lecteurs réguliers du Québec et de toute la francophonie, mes étranges lecteurs de la Chine ou de la Pologne qui ne doivent absolument rien y comprendre et je vous souhaite le moins ennuyeux des Noël en confinement.
Pour ce qui est de la nouvelle année, si monsieur Legault, notre bon premier ministre, la laisse sortir de chez elle, je ne puis qu’emprunter les mots de la célèbre comtesse et comme elle vous dire un gros Merde!
Merde au cul, les parfaits. Quand j’étais tout petit enfant j’étais convaincu qu’il n’existait que deux sortes de monde dans le monde. Ceux qui aimaient les bonbons noirs et ceux qui n’aimaient pas les bonbons noirs. Les bons se trouvaient du côté de ceux qui les aimaient, ceux qui n’avaient pas peur de se noircir les dents. Moi j’aimais bien le goût de l’anis et de la réglisse noire et je m’accommodais sans façon de leur fâcheuse manie de me noircir la gueule. De l’autre bord les frileux, les abstentionnistes de l’anis, tous m’apparaissaient suspects. Des êtres louches qui faisaient passer leurs propres plaisirs gustatifs loin derrière la blancheur de leur beau sourire Pepsodent. Du monde parfait, sans caries. Merde au cul, les parfaits. Les parfaits marchent les fesses bien serrées, le dos bien droit, le menton haut et le regard de faucon vers l’horizon. Vous me faites rire, rire et pitié à la fois.
Les beaux petits yeux un tantinet endormis dans de douces rêveries ou perdus dans quelque bonheur d’occasion, les corps valsant nonchalamment dans l’espace-temps, non, je ne parle pas de vous.
To be or not to be
To free or not to free
To crawl or not to crawl
Fuck all those perfect people!
To sleep or not to sleep
To creep or not to creep
And some can’t remember, what others recall
Fuck all those perfect people!
Sleepy eyes, waltzing through
No, I’m not talking about you!
Les parfaits n’ont jamais une coche qui retrousse, jamais de rosette dans les cheveux, aucune trace d’acné au visage, la barbe toujours faite. Les parfaits ne sont jamais en retard, quand les parfaits pètent, ça ne sent rien. Quand ils chient non plus. Aucun son dans la défécation. Il ne faut toujours qu’un seul parfait pour changer une ampoule. Ils ne paient jamais une facture en retard, ils ont toujours un en-cas prêt pour tous les cas. Les parfaits n’ont jamais d’idée croche, toutes les dents bien droites. Jamais d’idée noire, les dents bien blanches. Merde au cul, les parfaits. Laissez du papier-cul pour les autres.
Les éternels poètes brouillons et tous les habiles manieurs de pinceaux, crayons et violons, non, je ne parle pas de vous.
To stand or not to stand
To plan or not to plan
To store or not to store
Fuck all those perfect people!
To drink or not to drink
To think or not to think
Some choose to dismember, you’re rising your thoughts
And fuck all those perfect people!
Sleepy eyes, waltzing through
No I, I’m talking about you!
Le virus n’emportera pas tous les parfaits pas davantage que leur bêtise d’ailleurs. Ni les autres, les mangeux de bonbons noirs, il en restera toujours icitte et là. Tous les blogueurs de ce monde en sont actuellement à écrire des carnets de confinement au lieu de profiter du confinement pour creuser plus profondément dans l’inspiration. C’est à bailler d’exaspération. Les parfaits ne lisent pas les blogues ou très peu et s’en brossent le nombril du mépris de la littérature en papier ou numérique et toute cette sorte de choses. Ils ne sont plus qu’âmes en peine, zombifiés par le covid-19. Ils peinent à se trouver une vie dans le confinement, rompus qu’ils étaient de vivre dans l’apparence de vivre. Au lieu de vous cacher de la mort sous une montagne de papier-cul, profitez-en pour vous trouver une vie digne de ce nom pendant qu’il en reste sur les tablettes. Et laissez-en pour les autres aussi.
To sing or not to sing
To swing or not to swing
(Hell) He fills up the silence like a choke on the wall
Fuck all those perfect people!
To pray or not to pray
To sway or not to sway
Jesus died for something – or nothing at all.
Fuck all those perfect people!
Sleepy eyes, waltzing through
No I, I’m talking about you! *
Flying Bum
*Fuck all those perfect people, Chip Taylor & The New Ukrainians
Chip Taylor, né le 21 mars 1940 à Yonkers dans l’état de New York aux États-Unis, est le nom de scène de l’auteur-compositeur américain James Wesley Voight, notamment connu pour le morceau Wild Thing. Ses frères sont l’acteur Jon Voight et le géologue Barry Voight. Il est l’oncle de l’actrice Angelina Jolie et de l’acteur James Haven.
Quand Lucien est allé chez le médecin pour lui exposer ses nouveaux symptômes, le médecin, un jeune frais diplômé à l’air un peu fendant, s’était mis à sourire baveusement en lui expliquant qu’il était probablement juste pré-andropausé.
Juste dans le pré d’André Pauzé? Comment ça se fait qu’il connaît le bonhomme Pauzé, lui? Cela n’a aucune espèce de rapport avec mes malaises, pensa Lucien. D’où il sortait ce p’tit docteur prétentieux. Juste pris en trop osé? en trot posé? Ils en fument du bon depuis que c’est légal, les petits docteurs. Qui l’eût cru?
Lucien n’avait pas vraiment de suées nocturnes ni de palpitations cardiaques, de brumes cérébrales ou des ralentissements métaboliques. Pas fait de tours en montagnes russes hormonales. Pas encore du moins. Quelquefois bandé mou tout au plus. Le petit médecin chiant s’était mis à lui expliquer avec un sourire aussi sympathique qu’un rond-de-cuir, toutes les merveilleuses étapes que la vie lui réservait maintenant, prétentieux comme si tout cela était à des années-lumière de lui arriver à lui, petit con, que la science moderne était pour trouver quelque chose entre-temps, un vaccin, une thérapie quelconque avant que ça ne lui arrive à lui aussi. Quand le toubib imberbe a enfilé son gant de latex pour lui planter un doigt dans le trou du cul, Lucien s’était dit qu’il lui faudrait bien un médecin de famille plus vieux que ce petit blanc-bec. Genre un vieux crisse.
Sont passés où tous les vieux crisses quand t’en as besoin?
Sur le chemin du retour sur l’autoroute métropolitaine, Lucien regardait partout alentour de lui toutes ces voitures qui doublaient la sienne. Dans toutes les voitures, tous les hommes qui s’en allaient dans la même direction que lui avaient dans la quarantaine, maximum dans la cinquantaine. Lucien avait soixante-neuf depuis un bout de temps indéfini déjà. Il réalisait non sans une certaine dose d’anxiété (cela se produisait-il pour vrai?) qu’il était probablement le plus âgé sur la route, le plus vieux du bureau aussi. Après tout, le patron italien était mort au printemps, son partenaire pas longtemps après. La réceptionniste un peu défraîchie était partie s’installer avec son vieux sugar-daddy à Palm Springs, la madame haïtienne de la comptabilité s’occupait maintenant à temps plein de son mari Alzheimer. La plupart des autres hommes alentour étaient tous plus jeunes que lui, même si la plupart n’étaient jamais aussi assidus et travaillants que lui.
Mais encore, Lucien réalisait tout d’un coup qu’il lui arrivait rarement pour ne pas dire jamais de croiser des vieux crisses dans sa vie de tous les jours. Pas un seul vieux crisse dans les dîners entre collègues ni quand il magasinait avec sa douce dans les centres d’achat, il réalisait non sans angoisser qu’il n’y en avait même pas quand il ramassait son café du matin au Tim du coin.
Sont passés où tous les vieux crisses?
Lucien montait le chauffage dans l’auto pendant qu’il tentait de résoudre l’énigme en regrettant de ne pas s’être apporté une petite laine avant de partir. Il se disait qu’il devrait toujours s’en garder une dans l’auto en cas. On est dans un pays nordique tout de même. Dernièrement Lucien semblait toujours sentir comme un petit blizzard glacial passer près de lui, ou sortir de terre pour venir lui bleuir les orteils. Il taponnait de la main gauche à la recherche de la manette pour allumer aussi le siège chauffant. Un petit zig-zag de rien et voilà parti le concert de klaxons tout le tour de lui, pffffff.
Lucien avait pris rendez-vous avec le médecin juste parce qu’il avait commencé à filer déprimé deux ou trois jours par mois. Rien à voir avec le pré d’André Pauzé. Il avait assez fait de dépressions dans sa vie pour s’inquiéter un peu. Faire la différence entre les petites baisses d’humeur normales et la grande brume noire qui s’abattait sur lui pesamment sans raison apparente. Il savait fort bien que tout ne reposait que sur un stupide débalancement chimique et qu’il n’avait aucun problème existentiel digne de ce nom et susceptible de l’accabler de la sorte trois ou quatre jours par mois. Il commençait à comprendre que des gens puissent envisager le suicide lors de telles attaques de l’humeur aussi brèves que soudaines. Si on ne pouvait même plus donner ou ressentir un peu de joie dans une vie où l’on se sent généralement confortable, pourquoi s’acharner à exister. Cette existence-là ne valait pas vraiment la peine d’être existée.
Cou’donc, sont passés où tous les vieux crisses?
Lucien commençait à se demander s’il ne devait pas aller voir au bingo. S’inscrire à des cours d’aqua-forme, à la pétanque. Aller assister à des captations de quiz télévisés en autobus jaune. Et les vieux pauvres, sont où les vieux pauvres? Où est-ce qu’ils se cachent les vieux sans-abris? On ne voit plus rien que des jeunes quêteux dans les rues.
Lucien se rappelait de son oncle Wilfrid éternel vieux-garçon qui avait toujours habité avec son grand-père veuf. Les deux dévoraient bruyamment des TV-Dinners devant Hawaï 5-0 et Mannix et connaissaient par cœur toutes les répliques des reprises de Dragnet. La fourchette qui leur collait dans la gueule, immobile, quand leur héros s’approchait sans se méfier d’un guet-apens évident. Pourtant le grand-père avait écrit plusieurs romans à succès et Wilfrid avait une longue carrière de géologue derrière lui, ils en auraient eu beaucoup à raconter mais cela n’intéressait plus personne. Ils étaient disparus tous les deux depuis belle lurette.
Sont passés où tous les vieux crisses?
Lucien s’était arrêté à la pharmacie pour faire préparer la prescription que le petit frais chié lui avait signée. C’était pour ces sept ou huit jours par mois qu’il sentait l’enfer s’ouvrir sous ses pieds ou une tonne de briques s’affaler sur sa carcasse souffrante mais la prescription disait qu’il devrait les prendre tous les jours. Ça ou toutes les gober d’une claque, se disait Lucien qui avait alors demandé à la jeune pharmacienne qui arborait une moue de princesse contrariée sous sa coiffure toute en frisettes intenses comme Annie la petite orpheline s’il ne pourrait pas, en lieu et place, avaler le médicament seulement les journées où ça irait trop mal. Elle avait jeté un coup d’œil plus que furtif sur la prescription et lui avait donné un non sec et à peine audible pour toute réponse avant de continuer à repousser savamment de la lime un cuticule rebelle qui retroussait sans vergogne sur un de ses artistiques faux-ongles bling-bling.
Anciennement, c’était le bonhomme Ducharme le pharmacien. Un homme affable et pas tellement souriant. Mais lui au moins on pouvait lui poser toutes les pires questions sans souffrir du moindre embarras.
– Il est où, monsieur Ducharme, Lucien lança-t-il, le vieux pharmacien, là?
La petite princesse en sarrau releva la tête en faisant une face de carême.
– Y’é parti.
Seule et sèche réponse.
– Juste parti souper? parti en condo? en Floride? à l’hospice? répliqua Lucien.
– Veux même pas l’savoir y’est passé où le vieux crisse . . . SUIVANT !
Je ne m’étais jamais vraiment posé la question. Pour moi il avait toujours été évident que l’habitat naturel du petit bradype ou paresseux tridactyle était quelque part dans la grille de mots croisés de mon journal quotidien favori. Aïs. Je pouvais le trouver là presque chaque jour, coincé dans un petit recoin de trois cases, bouche-trou par excellence de tous les constructeurs de grille blasés ou paresseux et des cruciverbistes rompus à leur opportunisme crasse. Ou lorsqu’un éclair de sophistication frondeuse vous illumine à la toute fin d’une partie de Scrabble et qu’il vous reste deux voyelles à placer sur la planchette, “a” et “i”, et que vous les collez sur un “s” compte triple, alors vous tapez des mains et vous vous écriez, hautain et baveux : Bradype ! Tridactyle d’Amérique du sud ! en quittant la pièce triomphal pour le plus grand dam de vos adversaires ébaubis.
…
Ainsi avaient toujours été les choses jusque-là.
Bien sûr, il m’était arrivé une fois ou deux en zappant nonchalamment de tomber sur cette bête un tantinet ridicule et sans la moindre trace de la malice typique d’une bête sauvage des jungles de l’Amérique du sud, suspendue lascivement la tête en bas grignotant lentement quelque feuillage, laide et le regard éteint, le rythme lancinant et endormant d’un demeuré pas trop vite, juste une autre blague à peine drôle de dame nature qui ricanait seule dans son coin maladivement.
…
Ainsi, disais-je, avaient toujours été les choses jusque-là, jusqu’à ce qu’un bon jour, blasé d’à peu près toutes choses comme on peut l’être après deux heures à lire des magazines insignifiants dans une salle d’attente qui n’avait jamais porté son nom avec autant de justesse, je tombe sur la stupide bête dans les pages écornées et jaunies d’un National Geographic datant au moins des fastueuses années cinquante. Un hurluberlu avait provoqué de toutes pièces une inondation dans la jungle du Surinam, Guinée hollandaise si je ne m’abuse, et les bêtes s’y noyaient allègrement – cervidés et ocelots, fourmiliers et singes-hurleurs rouges et tout un paquet d’autres bêtes aux noms impossibles à mémoriser. “Orphelin de l’onde” titrait l’article. Et en page 28, tout en couleurs, l’air d’un itinérant après un long hiver le pelage ébouriffé et cotonné par la boue et l’eau qui l’avaient souillé puis avaient séché sur la pauvre bête aux yeux tristes et mélancoliques qui s’était tenue à flot s’agrippant désespérément sur la tête de sa mère qui tenait elle-même sur le dessus d’une souche, mon vieux pote de mots croisés et de Scrabble à trois ridicules orteils qui sert essentiellement à remplir trois cases de mots croisés perdues se tenait là, déboussolé, le regard éteint. Il avait attendu patiemment pendant que l’eau montait et montait sur la mère qui fixait son tendre regard de mère paniquée sur son rejeton risible et laid qui était perché sur elle s’agrippant à sa tête de ses six ridicules orteils. Et bien sûr, elle est morte noyée pauvre elle pour garder son bébé vivant le temps qu’on vienne à son secours. Elle ne lui servait plus que de coussin d’appoint, aussi immobile que morte, une commode extension à la souche qui l’avait sauvé des flots et le regard perdu du petit sur la photographie du célèbre magazine n’était pas totalement dissemblable de celui de la truite de ruisseau reposant sur les glaces concassées de l’étal du supermarché semblant se demander où avait bien pu passer sa crique adorée.
…
Depuis cette bouleversante lecture où j’ai braillé comme un veau dans la salle d’attente de mon ophtalmologiste devant des badauds qui se mirent hypocritement à laisser une zone tampon de trois chaises entre eux et moi, si d’aventure je croise l’aïs dans un mot croisé ou que je reste coincé avec les deux voyelles maudites au Scrabble, jamais plus l’envie de baver ni de faire mon triomphant ou mon prétentieux ne me viennent tout de go à l’usage du petit mot de trois lettres. Je fais maintenant comme une sorte de pause, une respectueuse minute de silence d’une dizaine de secondes et je pense très fort à lui et à sa pauvre mère et je conclue, le cœur au bord de la gueule gonflé d’amertume et les yeux au bord des larmes, que la pauvre bête derrière le mot de trois lettres aux deux syllabes phonétiques imposées par son tréma et qui ne sert qu’à remplir trois cases perdues de la grille par sa définition imposée par les trois ridicules orteils du pauvre bradype tridactyle d’Amérique du sud que l’aïs est finalement, et somme toute, une très, très belle bête. Et moi, avec le temps, un vieux braillard ridicule.
Pour mes lecteurs d’outre-atlantique, le motton est un mot tout québécois qui comme bien d’autres peut prendre différentes significations selon l’usage ou le contexte. Le motton typique est une agglutination, un précipité, un grumau en quelque sorte. S’il se retrouve à un endroit spécifique, un motton dans la gorge par exemple, cela signifie qu’on est le sur bord d’éclater en sanglots. Avoir le motton tout court peut signifier avoir plein de fric, être riche. Le motton sur le coeur signifie être envahi d’une profonde mélancolie, d’une grande tristesse. Dans un monde plus intime, mon oncle Aurèle qui n’aimait pas le traditionnel gâteau aux fruits de Noël appelait cela du gâteau aux mottons. Et voilà un exemple typique de l’origine de bien des mottons sur le coeur. Noël, un être cher disparu ou simplement inaccessible et le tour est joué, ça pogne en mottons partout sur le coeur.
Bien peu d’entre nous ont vécu ces Noël idylliques, une joyeuse promenade en carriole tirée par des chevaux sur une nature blanche de neige immaculée au son des grelots, bien emmitoufflés dans de belles peaux d’ours qui finissait en réunion au pied du sapin. Un père fonctionnel, une mère aimante, une fratrie à la vie à la mort, des beaux petits pyjamas et une pile de cadeaux. Alors on en achète. On se paie des mottons. Les lancinantes chansons de Noël nous en vendent tant qu’on en veut, ad nauseam. À prendre à notre compte tous ces souvenirs artificiels bien léchés et se prendre à y croire nous révèle notre propre bêtise et nous fout les mottons à tout coup.
D’ailleurs à ce chapitre, nous savons maintenant que le père Noël tel que nous le connaissons est une pure invention des génies de la mise en marché chez Coca-Cola. Le pétillant breuvage avait le fâcheux défaut de moins bien se vendre en hiver lorsque le besoin de se désaltérer diminue considérablement. En 1860, un illustrateur new-yorkais invente un personnage qui viendrait distribuer des cadeaux aux enfants, en se basant sur la légende de Saint Nicolas. Ce personnage est alors bedonnant, il fume, et il porte une grande barbe blanche avec un costume. Mais dès les premières illustrations colorées qui suivirent les années suivantes, le Père Noël arborait déjà un costume rouge !
En 1931, la firme s’apporte le soutien du personnage mondialement connu. Durant sa longue nuit de livraison de jouets, le Père Noël, il doit avoir soif ? Quoi de mieux qu’un Coca-Cola pour se donner des forces ? Et en plus, il porte déjà la couleur de la marque, idéal pour associer facilement deux icônes mondialement connues… !
Jusqu’en 1964, c’est l’illustrateur Haddon Sundblom qui va créer les publicités de Noël pour Coca-Cola, mettant en scène le Père Noël en train de distribuer ses cadeaux, de se détendre avec les enfants ou encore de faire une pause Coca-Cola. Et les américains ont acheté. Rien de surprenant d’un peuple hétéroclite aux origines variées et sans réelles valeurs communes qui trouvaient là un rare point de ralliement. Même peuple sans commune culture auquel une dénommée Martha Stewart a fabriqué de toutes pièces un folklore national qu’ils ont tout acheté d’un bloc. Et Martha qui riait jusqu’à la banque. On peut dire ici que les américains ont avalé le motton tout rond.
Il y a cependant de ces mottons qu’on ne réussit jamais à faire passer. Les statistiques démentent la croyance populaire qui laisse croire que le temps des fêtes est la saison de prédilection du suicide. Il n’y a pas plus ni moins de suicides en décembre que dans les autres mois. J’ai lu un truc qui racontait que les suicides de Noël sont cependant les plus romantiques, les plus tristes évidemment. La solitude en ces temps festifs est lourde à porter mais on y lisait que les suicidés de Noël utilisaient leur propre mort pour lancer des flèches empoisonnées à un amour perdu, des messages amers à une famille dysfonctionnelle, règlements de compte familiaux extrêmes.
Il faut garder l’oeil bien ouvert. Tous ces gens que la misère emporte sont autour de chacun de nous, jamais bien loin. Une amie m’a déjà raconté que deux jeunes garçons issus d’une famille aisée et conservatrice ont organisé leur coming-out homosexuel en se pendant de façon parfaitement symétrique de chaque côté d’une couronne de Noël allumée dans une immense baie vitrée devant le chalet de ski familial de façon à ce que la famille les voie de loin en se présentant au chalet pour festoyer. J’ai toujours une pensée pour mon pauvre oncle Bobby qui s’est gazé dans son garage à quelques jours de Noël, à une superbe jeune fille d’à peine dix-huit printemps que mon fils fréquentait et qui un soir s’est enfuie entre le dessert et le digestif. On l’a retrouvée trois jours plus tard, à quelques heures de Noël, pendue dans une chambre anonyme du Ritz-Carlton. Nous avions été les dernières personnes à l’avoir vue bien en vie. La petite a déposé une sérieuse couche de mottons sur mon coeur et sur bien d’autres. Venus joindre tous ces mottons qui remontent encore et toujours en ces jours joyeux. Prenez bien soin les uns des autres, gardez l’oeil et votre coeur ouverts, toujours.
…
Ma tante Colombe préparait son gâteau aux fruits à travers toute la boustifaille qui l’occupait avant les fêtes. Mais on ne le mangeait pas. Pas tout de suite du moins, pas celui-là. Elle l’emmitouflait dans du papier ciré et le calait bien serré dans sa boîte de métal pour le ressortir de temps en temps pour le badigeonner de rhum. À Noël elle servait celui de l’année d’avant. Comme j’ai eu un automne très occupé et que j’aurais bien aimé écrire un nouveau conte de Noël, je vais vous re-servir celui de l’année dernière. Je l’ai ressorti de temps en temps pour le badigeonner de quelques nouvelles tournures, corrigé quelques fautes, et je vous invite à le découvrir ou à le redécouvrir, c’est selon.
Je vous souhaite des beaux mottons de Noël, soyez heureux.
Très généralement je dirais, je me couche je m’endors et pas toujours dans cet ordre-là.
Mais là, j’écris un scénario de film au complet, j’apprends les textes, je le tourne, je joue dedans, je fais le montage, j’organise la distribution, vous voyez le genre. J’essaie de voir combien de mes humeurs humides peuvent absorber mes draps-santé avant d’être malades. Et je tourne un petit tour à gauche, un petit tour à droite. Zéro dodo.
Toutes ces bêtes qui errent dans la nuit, j’aurais dû m’habituer à leur présence depuis le temps. Je n’entends plus que ça. Old MacDonald had a farm hi-han-hi-han-yo. Évidemment, passer de la basse-cour la poche sous le bras à la cour de l’état le lendemain matin les poches sous les yeux, ça porte à l’insomnie quelque peu. On est toujours moins beau avec des grosses poches sous les yeux. Le juge jugera, on le paie pour ça. And a kwak kwak here and a kwak kwak there. Comment je me suis ramassé là?
Qui aurait pu prévoir le terrible coup d’état, toutes ses conséquences sur nos vies? Ces gens avaient l’air tellement “flower power” pis toute. Des méditators en transe et en sandales. On ne fait pas bobo aux bozanimos, on les aime on les mange pas, on ne mange pas leurs oeufs, on ne boit pas leur lait, on ne tricote pas leur laine, on ne se fait pas de linge avec, rien. Quelques vitrines de boucheries peinturées tout au plus. Personne n’a pu voir venir, même pas eux finalement.
Mon sub-pœna sur le chevet est on ne peut plus clair, en lettres mauves à l’encre de betterave sur papier de soya, j’ai terrorisé un individu volatile en le pourchassant cruellement dans toute la cour, séquestration sous une chaudière de plastique avec un orifice pour ne passer que la tête, homicide volontaire et prémédité par décapitation à la machette, outrage à un cadavre déplumé, dépossession de viscères et grillé sans pitié au piment d’espelette. Et finalement, jouissive ingestion par la bouche du corps démembré d’une de nos soeurs les poules. Qu’est-ce qui m’a pris?
Mon avocat informé de mes pépins et vert d’inquiétude m’invective de ses paroles acides acétiques, qu’ai-je fait au ciel pour mériter cet avocat-vinaigrette? Ma pire sentence pour l’heure c’est l’éveil. Vais-je seulement y parvenir? Dormir, dormir, est-ce que je peux juste dormir un peu?
Sur le patio un couple de coyotes dévore goulûment une pauvre chèvre ou est-ce qu’ils la sautent? Rien n’est moins sûr juste au son. Je me masturbe un p’tit coup en plissant fort les yeux et en me jouant les images fantasmatiques d’une boule de cretons à l’ail enroulée dans une tranche de bacon frite dans la graisse de rôti. Je viens et vite de surcroît, j’en reviens pas. Mais rien à faire, l’homme comblé dégonflé et repu ne tombe toujours pas endormi.
Il y aura bientôt quatre ans, le 15 novembre 2026, cinquante ans bien sonnés après l’élection du gouvernement Lévesque, le groupe révolutionnaire anti-spécisme, le GRAS, jusque là à peu près inconnu, a pris le contrôle du gouvernement dans un spectaculaire coup d’état armé qui a pris tout le pays par surprise, les véganes comme les méchants carnassiers. Les Landry, les Leblanc et tous les autres producteurs laitiers dans le rang chez nous, pris de peur ont libéré toutes les bêtes et ont fui demander l’asile politique en Suisse.
Les vachères parties les vaches errent partout, broutent mes pelouses, mon jardin, mes plates-bandes fleuries. Les écuyers écoeurés les écuries évacuées, les moutons blancs au diable vert, and a oink oink here and a oink oink there les porcs courent partout, chez eux comme autrui. Et ça se reproduit à une vitesse folle toutes ces bêtes maintenant libres et sans aucune contrainte, les prédateurs du coup se multiplient comme les petits pains aux noces de Cana. Et le gros rouge, à grandes gueules dans le buffet. On s’enfarge dans les carcasses, partout on frappe un os.
Hier, les sirènes des troupes du général DeMontigny ont retenti dans la nuit. Plus loin vers l’Épiphanie, l’ancienne porcherie Au Porc Sain a été prise d’assaut au bélier. Une quarantaine de sales spécistes cachés là y avaient installé un méchoui et grillaient tranquillement trois fesses de porc bien rondes salivant sans bon sens. Un massacre sans nom s’ensuivit et les sales spécistes empalés sur de longues broches ont été exposés dans le parking du supermarché pour faire peur aux autres.
J’ai du sable dans les yeux mais rien à faire, le sommeil ne vient pas. J’entends les loups qui piaffent et hurlent en encerclant les quelques vaches et leurs beus à l’heure bleue qui pacageaient tranquillement entre la piscine et le cabanon. Leurs beuglements désespérés percent dans la nuit au-dessus des cris de toutes les autres bêtes hébétées. En panique totale elles coupent de leurs sabots le cordon de loup et se précipitent directement sur la fenêtre de ma chambre qui vole en éclats.
Les ruminants sont partout, immenses et malodorants, les yeux exorbités. Je saute de panique hors du lit sauver mon cul vite encerclé de grosses langues roses et blanches aux relents fétides qui s’agitent partout sur mon corps nu. Impossible de rejoindre la machette que je garde toujours sous mon lit, le Manitoba ne répond plus. La lutte serait vaine et ennuyeuse. Je me fraye la fuite rampant à travers la forêt des minces pattes de bovidés et je cours à la cuisine, mais rien à faire elles m’y suivent des babines.
D’effroi et sans y ruminer davantage, je vide et me cache dans une armoire à Tupperware. Un gros mâle m’a senti, mal m’en prît, il frappe et frappe de ses cornes sur la frêle porte d’armoire qui part en morceaux pas plus gros que des cure-dents. Il se recule pour mieux revenir, tête basse et cornes devant.
Je me réveille à côté du lit carrément encastré dans ma table de chevet. Jamais plus les boules de cretons à l’ail enroulées dans le bacon et frites dans la graisse de rôti avant d’aller me coucher.
Le clown en en-tête est une photographie originale de Pavel Krivtsov (a sad holiday new year in a psychiatric hospital). J’avoue qu’elle n’est pas drôle.
Marina, aqua Marina!
J’en ai déjà eu une pareille. Pareille pareille.
Même couleur, toute. Une fois le radiateur a sauté sur Bellechasse et j’ai été obligé d’arrêter en face de la polyvalente Père-Marquette et naturellement tous les ados en récré se payaient ma gueule. Je leur ai dit qu’elle s’ennuyait de son Angleterre natale et qu’elle se faisait une petite brume londonienne nostalgique tout simplement, le temps que je grille une clope. P’tits morveux. Je vous raconte cela maintenant parce que dans ce temps-là, Facebook n’existait pas. Vous l’auriez jamais su.
Je n’ai jamais rasé votre femme
J’ai toujours adoré les pastiches, ma belle-mère en portait des sublimes comme Jinny mon fantasme adolescent sans nombril. (On lui dissimulait avec de la putty et du maquillage pour ne pas trop exciter les petits garçons. Ce fut, croyez-moi, peine perdue).
Si vous voulez voir d’autres pastiches de votre super-héros sous la plume de Kerry Allen, il y en a plein ici: Super Antics by Kerry Allen
Nostalgie quand tu nous tiens
(lâche-nous pas trop vite, avertis)
Je me souviens comme si c’était hier, hier je n’avais rien à faire. Une longue marche sur une plage sauvage et déserte des Seychelles, main dans la main avec une femme merveilleuse et presque nue, à l’heure bleue du petit matin qui laisse naître les rêves les plus fous malade-mental. Les papillons dans le ventre, les Sweet Caporal qui retroussent du Speedo. Nous avons tant et tant marché au soleil levant sur un sable blanc de plus en plus chaud jusqu’à ce que les pieds me brûlent, l’acide redescende et que je réalise que je traînais un mannequin volé, en plein jour au gros soleil dans le parking en asphalte d’un Zeller’s.
Bien loin tout ça. Aujourd’hui le LSD ne m’est plus d’aucune utilité. Je n’ai qu’à me lever un peu vite et je vois des mouches en masse.