Ah la vache.

Très généralement je dirais, je me couche je m’endors et pas toujours dans cet ordre-là.

Mais là, j’écris un scénario de film au complet, j’apprends les textes, je le tourne, je joue dedans, je fais le montage, j’organise la distribution, vous voyez le genre. J’essaie de voir combien de mes humeurs humides peuvent absorber mes draps-santé avant d’être malades. Et je tourne un petit tour à gauche, un petit tour à droite. Zéro dodo.

Toutes ces bêtes qui errent dans la nuit, j’aurais dû m’habituer à leur présence depuis le temps. Je n’entends plus que ça. Old MacDonald had a farm hi-han-hi-han-yo. Évidemment, passer de la basse-cour la poche sous le bras à la cour de l’état le lendemain matin les poches sous les yeux, ça porte à l’insomnie quelque peu. On est toujours moins beau avec des grosses poches sous les yeux. Le juge jugera, on le paie pour ça. And a kwak kwak here and a kwak kwak there. Comment je me suis ramassé là?

Qui aurait pu prévoir le terrible coup d’état, toutes ses conséquences sur nos vies? Ces gens avaient l’air tellement “flower power” pis toute. Des méditators en transe et en sandales. On ne fait pas bobo aux bozanimos, on les aime on les mange pas, on ne mange pas leurs oeufs, on ne boit pas leur lait, on ne tricote pas leur laine, on ne se fait pas de linge avec, rien. Quelques vitrines de boucheries peinturées tout au plus. Personne n’a pu voir venir, même pas eux finalement.

Mon sub-pœna sur le chevet est on ne peut plus clair, en lettres mauves à l’encre de betterave sur papier de soya, j’ai terrorisé un individu volatile en le pourchassant cruellement dans toute la cour, séquestration sous une chaudière de plastique avec un orifice pour ne passer que la tête, homicide volontaire et prémédité par décapitation à la machette, outrage à un cadavre déplumé, dépossession de viscères et grillé sans pitié au piment d’espelette. Et finalement, jouissive ingestion par la bouche du corps démembré d’une de nos soeurs les poules. Qu’est-ce qui m’a pris?

Mon avocat informé de mes pépins et vert d’inquiétude m’invective de ses paroles acides acétiques, qu’ai-je fait au ciel pour mériter cet avocat-vinaigrette? Ma pire sentence pour l’heure c’est l’éveil. Vais-je seulement y parvenir? Dormir, dormir, est-ce que je peux juste dormir un peu?

Sur le patio un couple de coyotes dévore goulûment une pauvre chèvre ou est-ce qu’ils la sautent? Rien n’est moins sûr juste au son. Je me masturbe un p’tit coup en plissant fort les yeux et en me jouant les images fantasmatiques d’une boule de cretons à l’ail enroulée dans une tranche de bacon frite dans la graisse de rôti. Je viens et vite de surcroît, j’en reviens pas. Mais rien à faire, l’homme comblé dégonflé et repu ne tombe toujours pas endormi.

Il y aura bientôt quatre ans, le 15 novembre 2026, cinquante ans bien sonnés après l’élection du gouvernement Lévesque, le groupe révolutionnaire anti-spécisme, le GRAS, jusque là à peu près inconnu, a pris le contrôle du gouvernement dans un spectaculaire coup d’état armé qui a pris tout le pays par surprise, les véganes comme les méchants carnassiers. Les Landry, les Leblanc et tous les autres producteurs laitiers dans le rang chez nous, pris de peur ont libéré toutes les bêtes et ont fui demander l’asile politique en Suisse.

Les vachères parties les vaches errent partout, broutent mes pelouses, mon jardin, mes plates-bandes fleuries. Les écuyers écoeurés les écuries évacuées, les moutons blancs au diable vert, and a oink oink here and a oink oink there les porcs courent partout, chez eux comme autrui. Et ça se reproduit à une vitesse folle toutes ces bêtes maintenant libres et sans aucune contrainte, les prédateurs du coup se multiplient comme les petits pains aux noces de Cana. Et le gros rouge, à grandes gueules dans le buffet. On s’enfarge dans les carcasses, partout on frappe un os.

Hier, les sirènes des troupes du général DeMontigny ont retenti dans la nuit. Plus loin vers l’Épiphanie, l’ancienne porcherie Au Porc Sain a été prise d’assaut au bélier. Une quarantaine de sales spécistes cachés là y avaient installé un méchoui et grillaient tranquillement trois fesses de porc bien rondes salivant sans bon sens. Un massacre sans nom s’ensuivit et les sales spécistes empalés sur de longues broches ont été exposés dans le parking du supermarché pour faire peur aux autres.

J’ai du sable dans les yeux mais rien à faire, le sommeil ne vient pas. J’entends les loups qui piaffent et hurlent en encerclant les quelques vaches et leurs beus à l’heure bleue qui pacageaient tranquillement entre la piscine et le cabanon. Leurs beuglements désespérés percent dans la nuit au-dessus des cris de toutes les autres bêtes hébétées. En panique totale elles coupent de leurs sabots le cordon de loup et se précipitent directement sur la fenêtre de ma chambre qui vole en éclats.

Les ruminants sont partout, immenses et malodorants, les yeux exorbités. Je saute de panique hors du lit sauver mon cul vite encerclé de grosses langues roses et blanches aux relents fétides qui s’agitent partout sur mon corps nu. Impossible de rejoindre la machette que je garde toujours sous mon lit, le Manitoba ne répond plus. La lutte serait vaine et ennuyeuse. Je me fraye la fuite rampant à travers la forêt des minces pattes de bovidés et je cours à la cuisine, mais rien à faire elles m’y suivent des babines.

D’effroi et sans y ruminer davantage, je vide et me cache dans une armoire à Tupperware. Un gros mâle m’a senti, mal m’en prît, il frappe et frappe de ses cornes sur la frêle porte d’armoire qui part en morceaux pas plus gros que des cure-dents. Il se recule pour mieux revenir, tête basse et cornes devant.

Je me réveille à côté du lit carrément encastré dans ma table de chevet. Jamais plus les boules de cretons à l’ail enroulées dans le bacon et frites dans la graisse de rôti avant d’aller me coucher.

Je vire végane, moé s’tie.

Flying Bum

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