Luc-Aurèle Lebom persiste et signe

St-Jacques, le 13 juillet 2023

Cher éditeur de fiction,

Le texte que je vous soumets ici s’intitule “Cher éditeur de fiction”, une histoire qui prend la forme d’une fictionnelle missive adressée à un journal littéraire fictif comme lettre de présentation pour un texte soumis sous le titre ci-haut cité. Je voudrais seulement tenter de dissiper toute confusion que pourrait soulever cette lettre fictive vue la présente lettre qui vous est adressée pour vrai qui est aussi introduite avec une intro qui dit “Cher éditeur de fiction”. Vous seriez autorisé à y voir là une blague de mauvais goût ou y reconnaître le germe d’un doute bien justifié.

L’idée m’est venue lors d’une des marches en forêt que j’effectue tous les jours généralement vers les quinze heures, histoire d’absorber les quantités de phéromone des bois nécessaires à mon équilibre mental. Je dis “vers” les quinze heures et j’ose espérer qu’aucun horloger n’osera régler ses montres sur l’heure de mes marches, j’avoue ne pas avoir la belle ponctualité d’un Kant, par exemple, et je doute qu’il subsiste encore un horloger dans les environs de St-Jacques, laissant gros Jean comme devant les pauvres habitants du secteur qui possèderaient une montre défectueuse. Contrairement à Kant, je ne suis pas un philosophe, bien que je ne répugne aucunement une occasionnelle lecture d’œuvres philosophiques, je crois fermement qu’en tant qu’écrivain de fiction, je me dois d’en savoir autant que faire se peut sur à peu près tout parce qu’en ma qualité d’écrivain de fiction je peux potentiellement écrire sur à peu près n’importe quoi, alors au fil des ans j’ai accumulé dans ma tête une multitude d’informations (d’aucuns diront que tout cela est bien trivial, peut-être bien) –  je m’imagine souvent dans la peau d’un participant à Génies en herbe lors de mes marches en forêt et je réponds correctement à toutes les questions, dans ma tête. Et justement, parmi les choses dont j’ai farci ma tête, se trouve la philosophie, et une des choses dont j’ai farci mon esprit en matière de philosophie est une déclaration surprenante de Kant : “Le plus grand problème de philosophie qui afflige les philosophes est de démontrer sans l’ombre d’un doute l’existence du monde extérieur.”

Mais pour les besoins de la cause, la mienne autant que la vôtre, prétendons tous deux que cette lettre adressée à vous ainsi que vous-mêmes existez et que l’histoire qui suit est la réelle histoire qui suit cette lettre de présentation, une véritable lettre de présentation pour une histoire fictive.

Maintenant que le consensus est bien établi à propos de ce qui est bien réel et ce qui l’est moins et que maintenant, j’ose l’espérer, vous comprendrez bien la démarche et que vous ne serez pas confus par la nature confuse du texte soumis (texte qui suit), je peux vous fournir du même souffle quelque peu d’information sur ma personne.

Mon nom est Luc-Aurèle Lebom et je suis un écrivain de fiction de St-Jacques pas encore publié, la fiction de St-Jacques n’existe pas comme telle cependant, autrement que comme une vue de l’esprit ou d’une phrase mal tournée. Je crains que je ne sois un écrivain non publié encore parce que les éditeurs de fiction comme vous ont été confus sur le pourquoi. Pourquoi ont-ils reçu une lettre de présentation sans texte proposé, méprenant la proposition pour une simple lettre de présentation et comme je l’ai longuement expliqué ci-haut et je tiens à vous le rappeler encore que cette lettre de présentation est la lettre de présentation et le texte qui suit qui s’intitule Cher éditeur de fiction est bien le texte soumis – j’ai considéré un moment de changer la fonte du texte soumis (Cher éditeur de fiction) pour le différencier de la lettre de présentation comme telle – mais j’imagine que cela puisse vous indisposer, vous l’éditeur de fiction et votre beau magazine littéraire, et je crois me rappeler que Steinbeck avait tenté de soumettre À l’est d’Éden utilisant différentes couleurs de fontes pour les différents personnages pour faciliter la compréhension mais que l’idée n’a pas eu l’heur de plaire à son éditeur. Et lui était John Steinbeck et non pas juste un autre auteur de fiction non publié comme moi.

Je me rappelle avoir lu un article sur l’utilité d’une lettre de présentation et on y dénombrait deux fonctions principales : dire “Un beau bonjour, là!” et pour affirmer “Je suis loin d’être cinglé.” Alors, pour conclure,

“Un beau bonjour, là”

Luc-Aurèle Lebom

***

Cher éditeur de fiction,

Je vous soumets une histoire de fiction qui s’intitule “Cher éditeur de fiction”. Elle contient deux parties, chacune rédigée sous la forme d’une lettre de présentation à un éditeur de fiction. Dans la première lettre de présentation, il est affirmé clairement que la première lettre de présentation ne fait pas partie du texte soumis, mais laissez-moi vous rassurer, elle fait assurément partie de la soumission peu importe l’énergie avec laquelle le texte affirme ne pas en faire partie et n’en être que la lettre de présentation, alors que la seconde lettre consiste essentiellement à expliquer le contraire. Je tiens à vous expliquer, vous, éditeur de fiction, que l’ensemble du document ici soumis est le texte soumis et qu’il ne contient absolument aucune lettre de présentation.

Je comprends le peu de professionnalisme que suppose le fait de vous soumettre un texte sans lettre de présentation qui contient deux lettres de présentation et je sous-estime probablement la confusion que cela puisse semer, même chez un éditeur de fiction et j’en conclus que cette confusion des éditeurs de fiction constitue la cause même des rejets à répétition de cette proposition par la majorité des éditeurs de fiction.

J’en conviens mais je persiste et je signe, le rejet constituant pour moi une forme de motivation excitante à poursuivre les efforts pour en venir à faire publier ces deux lettres de présentation, qui constituent le texte soumis intégralement, sans lettre de présentation le précédant.

D’aucuns pourraient argumenter qu’après une centaine de rejets, un auteur de fiction devrait considérer que toute cette histoire de deux lettres de présentation sans lettre de présentation n’est tout simplement pas intéressante pour un éditeur de fiction mais je maintiens fermement que le texte vaut son pesant d’or et que la confusion seule engendre son rejet, aussi confuse la situation puisse-t-elle être pour vous mais ô combien claire pour moi.

En effet, des camarades écrivains de fiction me demandent pourquoi je ne soumets pas un autre genre de proposition aux éditeurs de fiction. J’ai écrit bien d’autres textes que cette lettre de présentation qui contient deux lettres de présentation, sans fournir de lettre de présentation comme telle, et je leur réponds que cela fait partie d’un plan beaucoup plus grand. Ce grand plan sera révélé aux lecteurs de fiction lorsque j’enverrai ma prochaine proposition aux éditeurs de fiction qui sera l’histoire de la difficulté rencontrée par un auteur de fiction fictif à faire publier une histoire à un éditeur de magazine de fiction fictif, sans lettre de présentation mais qui contient deux lettres de présentation contradictoires, et qui sera enfin publiée. Je crois que vous, cher réel éditeur de fiction, vous comprendrez mon intérêt à faire publier cette histoire avant de publier ma troisième fiction qui traitera de comment vous avez finalement consenti à publier cette première histoire qui est, dois-je vous le rappeler, celle à propos de deux lettres de présentation contradictoires sans véritable lettre de présentation.

“Un beau bonjour, là”

Luc-Aurèle Lebom


Flying Lebom Léon-Chose

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“Il y a une force intérieure, je suppose, un courage et une intégrité, à simplement admettre que vous êtes cette présence malveillante qui rôde dans les ruelles sombres de votre propre vie.”

– Luc-Aurèle Lebom

9 réflexions sur “Luc-Aurèle Lebom persiste et signe

  1. Merci à Caroline D qui a utilisé le mot « reset » parce que je n’aurais pas su mettre un qualificatif sur ce texte tant je suis aussi amusée que confuse à sa lecture! J’adore, comme toujours! Particulièrement la citation de Kant… 😉

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