Je suis carboneutre, grand bien me fasse.
Je puise mes eaux sous ma terre sans additifs chimiques et j’offre mes eaux fatiguées au champ purifiant, chez moi, derrière ma maison. Je coûte zéro en infrastructures. J’engraisse ma terre à même mes propres rejets, chauffe ma maison à l’énergie limpide de nos rivières et au passif solaire éternel. Je suis carboneutre, grand bien me fasse. J’habite la région, j’y vis et j’y consomme l’essentiel de mes biens très essentiels et je rachète mes péchés automobiles en acquittant les taxes sur des terres, plus de six arpents de bois debout que je laisse grandir et vivre tranquille, mes arbres qui absorbent le méchant et offrent à une bonne poignée d’hommes et de femmes de ma race phéromones lénifiantes et oxygène vital. Je me soupçonne même d’être carbopositif, grand bien me fasse encore. Ce n’est jamais assez, ce ne le sera jamais plus.
Mais encore je suis vieux, vieux et pleutre. Il m’arrive encore de manger le corps démembré de nos sœurs les poules contre l’avis des blêmes bien-pensants ou de faire un feu de bois pour le seul plaisir de mes yeux et le sourire de mes enfants, mais jamais ne m’arrive-t-il de regretter d’avoir mis des enfants au monde, ni à ceux-ci de peupler mon jardin de petits-enfants qui courent partout contre l’avis des paniqués du calcul exponentiel de ce monde. Je suis aussi un pleutre. Un vieux pleutre. Et je méritais mieux. Bien d’autres comme moi méritaient mieux, beaucoup mieux. Mieux que de voir l’humanité écouter les mauvais hommes, prier les mauvais dieux, mieux que d’être de cette race épidémique catastrophique qui veut bien courir à sa perte le sourire aux lèvres et sifflotant en autant qu’elle le fasse les poches pleines.
Grand bien n’y fassent tous les cris, les S.O.S., le vaisseau-terre est assailli, attaqué, notre terre qui êtes aux pieux. Et les avares affamés aveugles, les militants de la terre brûlée lentement meurent de leur bêtise à compter le temps à l’échelle de leur propre fortune, de mesurer leurs envies à la profondeur abyssale de leurs poches. Notre vaisseau est son propre temps, sa propre vie. Notre vaisseau porte en lui le temps, inexorable, et la vie. Le temps d’un grand bing bang que tout naisse, le temps d’une éternité qui vit naître des races microscopiques laides et risibles qui engendrèrent des races animales énormes et effrayantes puis les effaça de sa surface d’un seul caprice climatique. Le temps de l’éternité qui vit naître au ciel de nouvelles races aux plumes légères, gracieuses et colorées, sur terre des bêtes à quatre pattes poilues et rusées, plein les océans de créatures mystérieuses et superbes et toutes ces créatures se complémentant dans un équilibre digne de la plus grande intelligence. Mais encore le temps de l’éternité qui vit arriver cette race à deux pattes, épidémique catastrophique, qui n’avait pour toute intelligence que la vanité de croire à la sienne.
Et la terre la rayera elle aussi de sa surface d’un seul caprice climatique, elle qui s’est asséchée sous les feux, éteints par ses océans qui ont gelé, dégelé, regelé, redégelé, son ciel qui s’est illuminé, qui s’est obscurci pour se rallumer, ses verts pâturages noircis puis reverdis, ses eaux qui ont monté, remonté, et qui se sont retirées comme un grand backwash de jouvence.
Et elle fera en son temps et à son caprice naître de nouvelles créatures encore et encore, de nouvelles bêtes dont la splendeur dépassera l’entendement ou dont l’horreur sera sans nom. Mais nous n’aurons jamais la grâce de les voir, nous serons disparus à jamais et d’autres êtres, peut-être de lumière et de chair mêlées, creuseront sous la surface pour trouver quelques traces de notre passage et se penser bien mieux. Parce que la course du vaisseau, elle, ne s’arrêtera jamais.
Flying Bum
Ite missa est 😉
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