Philomène

Quatre-et-demi de l’enfer, Montréal, 1972.

Cent soixante-quinze degrés fahrenheit ou celsius, c’est pareil, pas égal mais pareil. Pas de courant d’air, pas de fan, je pense que j’ai chaud. Je pendouille bêtement entre deux couches d’air comme une capsule spatiale dans le pays des petits bébés pas baptisés entre avaler une ou deux capsules de mescaline et attendre son effet. Quand “je veux” ressemble à une crampe dans le ventre. Je pense à ce que je veux, et je pense que c’est Philomène que je veux et le ventre me tord . . . Merde! Tout s’embrouille. Un dessin, je dessine. Plutôt, un rêve dans lequel je dessine. C’est évident, lumineux. Un rêve puisque je dessine sur une table à dessin. C’est quand la dernière fois que j’ai dessiné sur une table à dessin? Des années. Des sombres années-lumière. Passer des rames de papier-scrap récupéré à l’imprimerie à inventer des tronches de quidam, des décors de BD vaguement sociales, des maisons magiques, le visage d’une fille. Rien que le visage, le visage de qui? Elle en pense quoi, la fille, elle? Où est son corps? Sous trente-six cotons ouatés se terrent des seins qu’on ne peut même pas s’imaginer. De ventre non plus. Un drôle de visage, pénible à dessiner ce visage, j’y parviens à peine, d’abord un ovale, la petite croix théorique dans le centre, je place les yeux à la bonne place comme dans un stupide manuel d’art pour les nuls attardés. Grand sourire? Sourire narquois? Ou quelque chose de plus complexe, démoniaque, un arc approximatif qui fait la moue. . . mais je dessine, je n’arrête pas de dessiner. Je me vois, de mon point de vue comme les épaules collées au plafond, le carré de la table à dessin en bas de travers, mon autre corps penché dessus et comme arrière-plan une immense image projetée dans un angle inconfortable, Liza Minelli qui danse dans un cabaret les cuisses blanches à l’air et la craque de ses seins roses au creux de son décolleté qui descend jusqu’à son blanc nombril le reste vêtue toute en noir et plein de cornets plantés au bout de plein de trompettes qui râlent en canon des airs désolants. Combien de fois ai-je vu cette scène de ce film? Pourrait-il s’agir d’un rêve dans un rêve? Un rêve qui rêve comme un disque qui saute un disque qui saute un disque qui saute. Et le visage de fille s’empare de Liza Minelli qui tourne en Philomène et un homme qui tourne autour de Philomène comme un satellite et lui marmonne des mots, sussurer serait le bon mot, lui dit des choses à l’oreille, un deal semble conclu, elle rit comme un italien quand il sait qu’il aura de l’amour et du vin, une auréole de lumière autour de son visage allume ses belles dents comme un piano et j’ai mal au ventre, j’ai tellement mal au ventre. La starlette est soudainement nue, qui rit, un autre homme satellite en queue-de-pie puis un autre avec un bout de chemise blanche qui retrousse de sa braguette négligemment ouverte, les deux lui tournent autour comme deux lunes lubriques, merde la gravité deux mamelons pointent vers moi au plafond et elle danse et elle entend tout ce que je pense et se fout de tout ce que je veux comme une actrice qui obéit à son scénario cruel pendant que je dessine bêtement, sur une table à dessin. Danse, mouvements désarticulés, déhanchements, mimiques, pattes en l’air comme un autre langage, un code, peut-être une façon de combler le vide immense, de jeter un pont? Faire contact avec moi avec des sentiments qu’elle est incapable de décrire, me rejoindre, m’appeler, espérer quoi, un vil satellite de plus? Non, Philomène ne t’appellera pas, idiot. Un idiot qui dessine sur une table à dessin à la main qui n’arrête jamais. De long en large, de haut en bas, en tournant. Où est tout le monde et qui me pince les gosses?*

La mescaline est débarquée sans prévenir comme une pizza que j’ai jamais commandée. Je le jure.

Je grince des dents bruyamment dans le silence de mon propre néant.

Je pense que j’ai chaud et mon ventre se tord,  je veux Philomène, les dents m’en font mal, tout va si mal, je vais où, je fais quoi?

Les options se font extrêmement minces pour quiconque grince des dents bruyamment dans le silence de son propre néant.

 

Flying Bum

New_pieds_ailés_pitonMauve

*testicules dans le langage familier du Québec

Texte publié dans le contexte de la journée mondiale pour la prévention du suicide.

3 réflexions sur “Philomène

  1. J’ai carrément éclaté de rire au disque qui saute le disque, souri à l’Italien quand il sait et aux mamelons sans gravité, pis j’ai un peu grincé des dents, à la fin, en te sentant grincer des dents dans le silence de ton néant.
    Sur ce, tourelou cher toi. Beau soleil, parce que je me dis qu’avec le ciel qu’y a par ici, il doit sûrement aussi faire beau par chez vous. Un ti-peu trop frette à mon goût, mais beau.

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