Un gros trio

Roman-savon saveur Doritos et Root Beer

Elle avait une diction à géométrie variable, toujours lorsqu’elle venait de jaser avec sa mère au téléphone, son accent prenait les airs chantants des îles, le mot et le rythme créoles. Lorsqu’il lui a demandé avec qui elle parlait, elle a dit “ma mère,” au lieu de manman, le mot créole pour mère, alors il a compris qu’elle mentait. Elle se dirige à la salle de bains et son oreille à lui cherche un bruit de chasse d’eau, de robinet, les sons sourds d’une personne qui change de vêtements mais tout ce qu’il entend c’est le son du loquet. Et des chuchotements.

Quand elle sort finalement, il lui dit, “C’est correct si tu veux lui parler. Je comprends. Tu l’aimais, il t’aimait.” Il prend une pause puis conclut avec, “Il vaut toujours mieux rester honnête l’un envers l’autre, on finit toujours par se mêler dans nos propres menteries un jour ou l’autre.” Elle s’assoit près de lui, glisse son portable dans sa poche gauche, côté opposé à lui; elle est droitière. Elle lui explique longuement et malhabilement qu’elle n’a pas “besoin” de lui parler, toutes les choses sont on ne peut plus claires entre eux, depuis longtemps. Il reste de marbre. Elle lui demande s’il examine ses comptes de téléphone ou quoi, il reste calme. “Si tu lisais mes comptes de téléphone, tu saurais que je ne l’ai jamais appelé. C’est lui qui m’appelle chaque fois.” Il lui répond que la facture donne aussi l’historique des textos, même s’il n’en avait pas la moindre idée avant de l’affirmer. Il n’a jamais vu rien de tel sur sa facture à lui, la sienne il ne l’a jamais vue. “Il en arrache, tu sais. Toi et moi ça l’a jeté sur le cul. C’est arrivé si soudainement. Je n’essaie pas de l’agacer ou quoi que ce soit, seulement, il me connaît tellement bien, c’est agréable de parler avec lui.” Il lui demande si elle essaie de l’aider ou s’il est juste agréable pour elle de jaser avec lui. “C’est exactement pour ça que je ne peux jamais parler avec toi, c’est toujours comme un fuck’n interrogatoire,” qu’elle répond. Il lui dit qu’eux n’ont pas vraiment besoin de parler et puis il s’en va dans la chambre pour tenter de se faire une tête sur ce qui se passe au juste ici. Vraiment.

Après trois heures de lecture, il réalise qu’il ne réfléchit pas du tout, il attend. Il attend après elle, il attend qu’elle vienne finalement s’expliquer, il attend qu’elle ne soit plus sur son foutu téléphone, qu’elle vienne lui donner une raison valable de lui refaire confiance même si dans le fond, il se fout de tout ça comme de sa première dent. Il enfonce sa face dans l’oreiller de son côté à elle et se demande si ça sent la cigarette au menthol ou la lotion après-rasage. La sienne sent à peine. Il ouvre son téléphone et relit les textos qu’elle échangeait avec lui du temps où c’était lui l’autre homme.

Il copie un de ces messages particulièrement sirupeux et lui renvoie. Un texto passe de la chambre au salon d’où il venait de la laisser. Même pas à quatre pieds d’ici. Ridicule, pense-t-il un moment trop tard. Le message était parti. Après plus de soixante-cinq secondes, merde, elle n’était toujours pas venue le rejoindre dans la chambre. Ou elle n’avait pas répondu. Même le témoin de lecture n’était pas allumé encore sur le message. Il s’en va au salon pour la retrouver, ensuite dans la cuisine, ensuite dans la salle de bain, le corridor. Il vérifie par la fenêtre si sa voiture est dans l’entrée. Il l’appelle directement. Ça sonne dans le vide. Elle lui répond par texto qu’elle est juste à la station-service. Juste à? s’interroge-t-il.

Il lui demande si elle veut rapporter des Doritos et de la Root Beer qu’ils puissent regarder un film plus tard dans la soirée. Collés.

Mais n’espérons rien, pense-t-il en-dedans de lui-même, il sait très bien déjà qu’il y a du hockey à huit heures.  

 


Flying Bum – Go Habs Go!

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2 réflexions sur “Un gros trio

    • J’aimerais mieux que ce soit vu comme un spleen sans début ni fin où même la prétention d’être ou de dire quoi que ce soit n’existe plus. Des personnages comme ceux-là ne se rendent pas jusqu’à l’état de blasement, ils filent rapidement tourner en rond ailleurs bien avant. Bonne journée Caroline!

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