Steeve junior est installé, et le terme est faible, dans le sous-sol du petit bungalow de ses parents à Tétreaultville. Mi-vingtaine et un peu plus, porte encore des broches ce qui n’est pas du tout pratique avec son régime alimentaire qui consiste essentiellement en carbohydrates du groupe trans dont les Doritos® et les Cocoa Puffs® sont la principale source. Il ne sort que très rarement dehors si on ne tient pas compte des fois où le détecteur de fumée a eu des ratés et encore la fois où il a halluciné ces immenses coquerelles à cause de champignons magiques pas si magiques finalement que son ami Lou lui avait apportés.
Mode de vie oblige, il n’est jamais sorti avec une fille, bien qu’il sache très bien ce que c’est. Il se rappelle avoir déjà vu des vraies filles au secondaire et il possède toute la littérature nécessaire à leur sujet un peu partout dans son ordinateur et sous son matelas. Sa vie sexuelle solitaire combinée à son régime alimentaire singulier donne à son appareil reproducteur la même teinte orangée que la face de Donald Trump et son hygiène approximative libère une rance odeur de smegma qui se répand dans tout son espace vital plutôt compact.
L’essentiel de ses activités consiste à jouer à des jeux sur son ordinateur au milieu d’un bordel monstre, un téléviseur allumé en permanence en guise de bruit de fond et qui sert également d’éclairage ambiant. Il rit de façon imprévisible la plupart du temps sur des sujets étranges ou inappropriés, en fait on peut dire qu’il émet des sons proches du rire humain. Il n’a plus vraiment la notion du jour et de la nuit et fonctionne plutôt par la présence ou l’absence de bruits de pas sur le plancher d’en haut. Si jamais il devait quitter son trou, ce serait pour aller s’installer à Farmville où il possède quelques arpents de terrain, des poulets et trois belles vaches, (rires) eha !, eha !, ehaaa ! e !*.
*prononcez le moins possible, du fond le la gorge.
Son père, Steeve sénior, est un cadre moyen vraiment moyen dans l’industrie du box-spring, blasé et sous-performant, atteint de calvitie talléenne (les cheveux lui tombent par talles), une maladie rare de la peau qui, pense-t-il, disparaîtra d’elle-même s’il fait semblant qu’elle n’est pas là et s’il ne se gratte pas trop. Steeve sénior est court sur pattes, plutôt rond, blanc luisant avec des taches rouges ici et là. Pour une personne le moindrement en forme, il serait plus facile de sauter par-dessus que d’en faire le tour. Il grogne immanquablement lorsqu’il quitte une place assise pour une autre place assise et lâche de longs ssssssssssssstie à tout propos comme la baleine qui monte chercher son air. Il n’a pas adressé une seule phrase complète à son épouse Gisèle dans les quelque 20 dernières années minimum.
Gisèle crochette bénévolement à la journée longue de ravissantes jupes de lit bariolées en Phentex pour les handicapés grabataires du quartier en marmonnant indistinctement des tounes méconnues des Classels. À l’occasion, elle lira un roman Harlequin (parce que ça la transporte dans des pays lointains, affirme-elle), ou elle époussettera ou fera des brassées, c’est selon. Une fois par semaine, elle se met belle, pense-t-elle, et se rend au bingo paroissial où elle a déjà remporté un magnifique ensemble à fondue chinoise pour 4 que Steeve sénior ne l’a jamais laissé utiliser; c’est bien beau les chinois, il ne va quand même pas faire cuire sa viande lui-même, sssssssstie !
Le jour, quand Gisèle sort de la maison, Steeve junior part en commando dans le réfrigérateur dévaliser quelques canettes de Coca-Cola® qu’il ramène dans son refuge et qu’il verse dans un bol plein à ras bord de Cocoa Puffs®. Une fois le commando rassasié, il pousse les canettes vides et les bols sous son lit. S’y trouvent présentement 37 bols, presqu’autant de cuillères sales et 52 canettes vides de Coke® qui valent quand même $2.60 en consigne. Mais Steeve junior ne saurait quoi faire d’une telle somme, terré à perpète dans son sous-sol. Gisèle qui ignore tout de ce stratagème continue d’acheter sans cesse de nouveaux bols et de nouvelles cuillères chez Walmart. Mais peu lui importent les bols et les cuillères, Gisèle se sert de ce prétexte pour vérifier si elle maîtrise encore un tant soit peu le langage humain en engageant ses rares très brèves conversations avec des caissières du Walmart.
Tout est là ! Dyslexie, inconfort, interactions disfonctionnelles entre les personnages, expressions colorées, sexe adolescent malaisant et tout pour faire apprécier leur vie ordinaire aux téléspectateurs du lundi soir qui en redemanderont à genoux.
Le principe sera simple. Steeve junior ne sera au courant de rien. On pousse des filles méticuleusement pré-sélectionnées par le châssis de cave, une à la fois bien sûr, jusqu’à ce que la bonne réussisse à sortir de là aux bras d’un Steeve junior ébaubi. J’ai soumis ça aux réseaux de télé et à date ils en bavent d’envie, surtout Éric Salvail. Tous les facteurs convergent pour un show de télé-réalité dans lequel des individus totalement dépourvus d’orgueil (et d’à peu près tout d’ailleurs) partagent leur vie devant nous sans artifices et vivent tous dans le suspense de voir Steeve junior enfin matché.
Budget : 3 ou 4 petites caméras vidéo dissimulées ici et là, quelques balles de Phentex pour occuper Gisèle, un tube ou deux de crème contre la calvitie pour que les cheveux de Steeve sénior durent au moins le temps de la série, quelques sacs de Doritos® et quelques boîtes de Cocoa Puffs®, quelques canettes de Coke® qui viennent régulièrement à $5.99 la caisse de 24 chez Maxi.
Une aubaine, ssssssstie !
Flying Bum
(à mon fils Emmanuel, avec humour et amour naturellement)