Un gros flash mauve

Brouillard en novembre, l’hiver sera tendre.

Vieux dicton dont l’origine se perd dans la nuit des temps ou dans les grandes brumes de l’oubli c’est selon. La conclusion du dicton est quand même porteuse de tendresse et d’espoir pour les grands déprimés de novembre comme moi tant soit-il qu’on puisse d’abord vaincre les brouillards de sa prémice.

On nous explique de toutes les plus scientifiques façons pourquoi novembre affecte les humeurs. La lumière, l’heure qu’on gagne et qu’on reperd aussitôt à retrouver comment changer l’heure au tableau de bord, la vitamine D, la noirceur, les morts, l’humidité, le froid, la nature qui se dépouille, les moustaches molles qui poussent spontanément au même rythme que les abris Tempo s’érigent, l’imbuvable Beaujolais nouveau, le magasinage de Noël qui s’annonce et toutes cette sorte de choses. Dans nos sociétés basées sur le travail, la productivité, l’argent (les dettes?), rares sont les analystes qui osent regarder les choses en pleine face. Tout ce qui vit ici-bas possède son rythme propre, ses cycles, ses hauts et ses bas et novembre est assurément le grand N (neutre) du bras de transmission de la voiture humaine. Et comme dit mon fils en rigolant, les règueul’ments c’est faite pour être sui, je rajoute mon corollaire, les rythmes aussi. Au risque de souffrir du grand mal de novembre, on doit toujours respecter le rythme de toutes choses, si lent soit-il et quoiqu’en pense le supérieur immédiat. Novembre ne serait-il pas un temps dont l’humain et sa douce auraient viscéralement besoin de passer au ralenti ne serait-ce qu’un temps, s’habiller en mou pour trente jours, chienner de l’aube au crépuscule et tout recéduler à l’agenda de décembre?

Dans son célèbre ouvrage qui date quand même de 1880, Le droit à la paresse, Paul Lafargue s’étonnait de l’étrange folie qu’est l’amour que la classe ouvrière porte au travail alors qu’il décrit celui-ci comme la cause de toute dégénérescence intellectuelle, de toute déformation organique.  Le travail est définitivement une chose dont on doit se détacher à tout le moins momentanément pour combattre en nous ses effets pervers. En pratiquant, à l’exemple de la nature de novembre, un engourdissement systématique de trente jours, se gratifier d’une longue période de paresse absolue mais nécessaire. Paresse étant un bien grand mot de tout temps galvaudé et méprisé, je préfère parler ici de participation sélective aux affaires courantes. Ce mot français paresse, vient de parece, au douzième siècle, de l’ancien français, peresce qui dérivait du latin pigritia, de piger, qui répugne à. Piger c’est choisir et rien n’est plus noble que de répugner à des choses, des choses contre son principe par exemple. Rien de mal, à date. Les humains sont les premiers animaux à considérer que de ne rien faire pour une certaine période de temps est une bien vilaine chose (alors que d’autres bêtes croient que c’est exactement la chose à faire – rien – après avoir suffisamment mangé pour survivre et après avoir suffisamment exhulté son corps et celui de la douce pour aujourd’hui). Nous ne sommes cependant pas des animaux, me direz-vous, nous avons cette chose dite pouce opposé qui vient avec son immense lot de responsabilités sociales.

Toute notre éducation sous-entend que nous devrions éviter d’être surpris à glander trop longtemps et que nous devrions opérer en tout temps la pédale au fond et la musique au boutte. Ça remonte au tout début de l’ère industrielle où nous sommes tous devenus rien de moins qu’une pièce de plus dans une machine qui avait son propre rythme à nous imposer. Quiconque ne s’active pas au rythme alarmant prévu dans la grande convention sociale est considéré comme porteur du gêne suspect de la paresse et l’organisme planifie son rejet immédiat dans l’éventualité que la contagion se répande. Démontrer des signes évidents de non-productivité est associé aux pires caractéristiques du mode végétatif (ce qui est une bien vilaine chose spécialement si vous êtes végétariens), du légume à la patate de divan au loafer (de l’anglais loaf of bread). Personnellement, je préfère l’indolence, c’est tellement plus distingué, ou encore l’oisiveté, espèce de péché intello mais vicieux qu’on associe aux grandes bourgeoisies qui l’ont élévé au niveau du grand art du seul fait qu’ils ont les moyens, eux, de chienner à volonté. Ils ont quand même offert la philosophie à l’humanité ainsi qu’à des cohortes de cégepiens blasés.

Depuis Lafargue, des gens ingénieux (appelons-les les activistes de la paresse, bien que ce soit là un délicieux oxymoron) ont réfléchi et publié les plus belles théories sur les aspects créatifs de la paresse, en ont vanté les vertus et milité activement pour l’inaction organisée en réaction à l’exploitation des classes ouvrières. Les temps nouveaux militent également dans ce sens et nous ont apporté des choses merveilleuses comme le yoga et la méditation, les grands embouteillages pour se recueillir, les retraites zen, les spas et les massages aux pierres chaudes, les marathons de séries télévisées sur Netflix, l’admirable vacuité intellectuelle des Barmaids sur V télé.

Les forces évolutives du cerveau humain ont exploité des nouvelles zones du cortex et developpé des habiletés nouvelles et surprenantes comme somnoler innocemment devant son ordinateur pour de longues périodes en activant machinalement la souris, au moment opportun, pour éviter que l’écran ne tombe en veille alertant l’immédiat supérieur ou encore snoozer les yeux ouverts en pleine réunion tout en conservant l’étonnante capacité d’acquiescer en hochant de la tête au moment opportun. Que voilà de grandes habiletés. Nous n’entendons hélas que très rarement parler de ces nouveaux titans de la paresse contemporaine.

Mais n’est-ce pas là toute l’idée, finalement?

Flying Bum

pieds-ailes

« Paressons en toute chose, hormis en aimant et en buvant, hormis en paressant. »   – Gotthold Ephraim Lessing

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