Petite salope

Combien de fois se laisse-t-on mystifier par nos premières impressions? Une vache qui finalement est plutôt chouette. Une grande dame aux allures rigolotes qui n’est en fin de compte qu’une petite salope et toute cette sorte de choses qu’on confond sans réfléchir ou que l’histoire nous a fait gober cuillère après cuillère au point d’y croire. C’est comme la peur, derrière elle se cache toujours quelque chose qui veut nous protéger contre pire que la peur elle-même. L’instinct, peut-être. Depuis l’aube de l’humanité notre corps est programmé pour craindre le serpent et l’araignée. Cette peur instinctive n’est là pour rien d’autre que de nous protéger contre la mort que pourraient provoquer leurs venins. Et cette peur est passée dans nos gênes pour mieux nous en protéger.

Bien d’autres choses encore sont susceptibles de provoquer notre mort mais s’il fallait que toutes les possibles façons de trépasser soient passées dans nos gênes on passerait le plus clair de nos vies à chier dans nos culottes. Sans compter toutes les choses qui ne sont que des créatures de notre imagination mais qui ne nous effraient pas moins pour autant. Les monstres, par exemple. Pour certains comme les enfants ou pour les grandescascades personnes qui passent une mauvaise nuit, ils sont terrés sous le lit prêts à bondir, se prêter aux pires violences, se livrer sur nous à toutes les bassesses, suffit de laisser pendre un pied hors du lit. Ils se tapissent souvent dans l’ombre mais plusieurs opèrent au grand jour, d’autres bonhommes ne sortent jamais avant sept heures. Les miens se tenaient dans un cagibi au bout du toit pentu du deuxième étage où se situait ma chambre, derrière un petit muret qu’on y avait construit. Ceux de mon fils Julien se cachaient dans le regard vide des automates pourtant conçus pour faire rire les enfants. Celui de mon fils Emmanuel prenait vie nuitamment au fond d’un garde-robe sous la forme d’un chauffe-eau, et curieusement le monstre prenait le logo collé sur le réservoir comme visage pour venir le faire suer de terreur. Il ne suffisait que de fermer la porte pour dompter la bête, jusqu’au lendemain soir.

Parfois, dans une foule ou une fête, ils ne se dissimulaient plus. Les monstres m’entouraient. Ils poussaient la grossièreté jusqu’à me caresser la panse et me disaient qu’un jour on devrait régler nos comptes.

-Pierre Yergeau, les monstres, blogue de l’auteur.

Pourquoi notre esprit crée-t-il ces créatures imaginaires? Pour nous protéger contre quoi? Rien de nouveau sous le soleil, au bout de toutes nos craintes, se cache toujours la mort. Mais la peur de la mort peut aussi nous paralyser et nous priver de moyens au lieu de nous en protéger.

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Les plus cruels guerriers ont historiquement misé sur la peur de la mort pour gagner un avantage supplémentaire sur leurs adversaires. Les masques samouraïs en sont un bel exemple. En portant les casques les plus horrifiants, ils comptaient paralyser l’ennemi pour mieux le frapper. D’autres laissaient des traces de leur cruauté bien en évidence sur le front pour effrayer les prochains, répandre la crainte et la terreur partout.

Depuis des temps immémoriaux la mort a été représentée en tant que figure anthropomorphe ou comme personnage fictif dans de nombreuses mythologies et cultures populaires, une personnification en tant qu’entité vivante. Elle est souvent représentée sous forme d’un squelette présentant à l’occasion quelques rares lambeaux de peau sur certains os.

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Dans le folklore occidental moderne, la Mort est généralement représentée comme un squelette portant une robe, une toge noire avec capuche, et éventuellement avec une grande faux. La mort est alors connue sous le nom de « la Grande Faucheuse » ou tout simplement « la Faucheuse ». Généralement de taille humaine, elle peut prendre de toutes autres proportions. De la taille d’un taureau plus grand que nature comme le minotaure jusqu’à la taille de dinosaure des dragons brûlant tout sur leur passage. Et toutes ces images sont là pour nous induire cette peur de la mort, peur qui nous en protégera en autant que faire se peut ou nous rappeler son imminence, qu’on puisse la fuir si la fuite peut encore sauver nos fesses. On illustre, du même coup, la grandeur et la puissance de la mort.

Je veux bien pour la puissance de la fatalité qui nous attend tous, son aspect implacable. Va pour la grandeur de la peur qu’elle provoque. Soit également pour tout le respect qu’on lui doit. Mais pour la grandeur dans le sens de sa taille, j’inscris ma dissidence à l’histoire, la mort n’a plus sa taille des grands jours. Peu d’entre nous connaîtront une grande mort épique de jadis ni n’auront l’opportunité de combattre la grande faucheuse au corps à corps.

La mort contemporaine n’est plus qu’une petite chiure de mouche, une microscopique petite chiure de mouche, finie son heure de gloire.

Un grand samouraï, deux cohortes de Huns sanguinaires et trois drakkars de vikings barbares ne sont pas de taille pour combattre une seule de ces chiures de mouche. La mort moderne peut venir de loin et voyager incognito dans la bave des maringouins, les dents d’une punaise de lit, carrément se creuser un chemin dans nos chairs ou sous nos ongles, se faire cadeau de grec venant avec le baiser de la douce ou le sperme d’un amant, passer par le sushi ou dans le Pepsi, investir nos trous de nez ou nos moins nobles trous, en toutes petites cochonneries de toutes sortes venir brouiller la pensée de nos anticorps et les lancer en guerre ouverte contre les mauvaises cibles, se faire armée de microscopiques créatures anthropophages et nous dévorer par en-dedans en un temps record, se faire petite crotte de gras risible qui s’agglutine inexorablement à ses semblables pour en venir à boucher fatalement nos tuyauteries de sang. Ou comme un cheval de Troie de dimension ridicule se tapir, non pas sous nos lits, mais se dissimuler hypocritement dans un recoin perdu d’un scan ou d’une radiographie examinés à la va-vite comme c’est maintenant la norme, une anomalie pas tellement plus grosse qu’un demi grain de riz, une mort qui se prépare sans aucun souci à l’assaut final et sournois d’un organe vital ou deux.

La mort n’est plus qu’une salope. Une petite salope.

Flying Bum

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