Le beau temps semble s’installer et enfin je vais pouvoir m’installer dans ma cour et en jouir quelque peu dans une des multiples patentes conçues exprès pour se reposer le fessier dedans, mais dehors. Hamac, chaises longues, chaises adirondak, chaises berçantes, coulissantes, balançoires, chaises de patio. . .
Mais il m’apparaît soudainement évident que je ne serai pas le premier à en profiter. Je m’enfarge dans les trous laissés par les mouffettes qui chassent nuitamment le ver blanc, les longs tunnels creusés par les taupes qui ne regardent définitivement pas où elles vont, les trous de siffleux, les innombrables monticules de sable érigés par les fourmis, les nids de guêpe dans les poteaux de piscine, les nids de suisses, les trous de crapauds, les crottes de raton-laveur, les tas de rippe de bois arrachée aux arbres par les grands pics. Ça va faire! C’est qui qui paye les taxes ici? Ne devrait-il pas y avoir une loi contre toutes ces calamités? Je pense que je vais joindre le célèbre mouvement des NIMBY – Not In My Back Yard (pas dans ma cour), un groupe de citoyens quelque peu désoeuvrés mais bien intentionnés et organisés qui s’opposent aux choses qui pourraient se passer dans leur cour et préféreraient grandement que ça se passe dans la vôtre, spécialement si elle est assez loin de la leur. Ou les cervelles totalement flambées qui se sont regroupées récemment en Colombie-Britannique sous le nom des BANANA – Build Absolutely Nothing Anywhere Near Anything … or Anyone (Ne construisez rien près de quoi que ce soit ou de qui que ce soit). J’hésite entre les deux mouvements.
Je ne suis pas certain de ce qu’on pourrait venir installer dans ma cour inopinément sans que je m’en aperçoive, je vis dans un trou perdu et je suis loin de la rue quand même, mais force est-il d’admettre qu’un rien risquerait d’enflammer ma dissension sociale, d’allumer le NIMBY ou le BANANA en moi. Je ne parle pas ici des horribles statues de jardins qu’on tente de nous imposer dans les grandes surfaces, des classiques flamants roses en plastique ou des petits nègres qui pêchent dans le gazon, des marguerites illuminées nuitamment au solaire, des faces d’hurluberlus à coller au tronc des arbres, des petites fontaines qui ont de féériques petites lumières de toutes sortes de couleurs en alternance le soir, tout ceci est à la limite acceptable et inoffensif.
Non, je pense plutôt à de gros ouvrages, des lignes à haute tension, des tours à micro-ondes, une autoroute à 12 voies, des sites d’enfouissement de vidanges toxiques, des parcs d’éoliennes, un Wal-Mart et toute cette sorte de choses. Premièrement ma cour est grande mais pas tant que ça et deuxièmement quelle partie de ma propre cour chèrement gagnée devrait être sacrifiée au progrès qui améliorera la vie des jeunes générations à venir au détriment de la mienne finalement? Qu’ils s’en trouvent un bon spot pour planter leur pompe à gaz de schiste, petits morveux.
J’utilise ma cour à son plein potentiel déjà, n’en jetez plus la cour est pleine, mes trois cabanons refoulent et on sous-estime toujours l’espace que peut utiliser une piscine hors-terre quand on compte toutes les gogosses qui viennent avec. Je dispose d’installations en bois traité icitte et là, des pierres et des dalles, je plante des choses qu’on mange ou qu’on ne fait qu’admirer ou désherber, je tonds des choses, j’en brûle dans le poêle qui chauffe la piscine ou dans un de mes deux pottes à feu en vieille brique recyclée, je me bats contre les maringouins ou contre la famille et les amis aux couilles, aux washers et aux fers, je ramasse les branches qui tombent, je regarde aller et venir des petites bêtes et les petits oiseaux et même des assez gros parfois.
Je n’ai entendu parler de rien de précis à date mais je reste à l’écoute. Ça arrive à bien d’autres si on se fie aux nouvelles en continu ou au fil Facebook, ça pourrait fort bien m’arriver dans ma cour à moi aussi. La prudence et la vigilance ne sont jamais vaines. Vais-je aller jusqu’à m’armer? Un bon matin je pourrais me lever, saper bruyamment ma première gorgée de café trop chaud pour ne pas me brûler les babines, paisiblement et sans méfiance regarder distraitement vers la porte patio pour m’apercevoir que BOUM, pendant la nuit un salaud a construit son usine d’engrais chimiques directement sur ma belle plate-bande d’hostas! Ah, non, pas dans ma cour!?! Et quand c’est bien planté une usine d’engrais chimique, on ne se débarrasse pas de ça si facilement, c’est pas des pissenlits. Il n’est jamais trop tôt pour se préparer à la guerre si on veut la christ de paix dans notre propre cour.
Je me demande si le NIMBY ou les BANANA vendent des cartes de membres, ou des beaux fanions colorés à leur effigie pour planter de chaque côté tout le long du driveway, ce serait cool.
Flying Bum