Ma participation à l’Agenda Ironique de juin qui se tient ce mois-ci chez Le dessous des mots. Au menu du défi, le sujet : la langue et quelques mots à insérer – insomniaque, frigoriste, chouette, narine.
La langue de Léonida
Les femmes étaient pourtant spécialement belles ce soir-là. Si je n’étais pas si insomniaque ces jours-ci, j’aurais laissé tomber l’invitation singulière. Adéline m’avait traîné là de force et je restais plutôt de glace devant ces filles même avec leurs longues chevelures qui tombaient dans leurs dos sur leurs grosses fesses bien bombées. Lorsqu’elles se pendaient au poteau, la tête en bas et redescendaient lentement dans un lent mouvement de spirale, les jambes écartées sans petite culotte et la vulve bien rasée, l’anus rosi à l’eau de javel aux quatre vents, j’avais l’impression d’assister à du porno vivant. Adéline était une chouette fille mais elle avait des drôles d’idées lorsqu’il était question de sexe, un peu voyeuse à l’occasion. Le porno me laisse toujours un peu froid, aussi allumé qu’un frigoriste prisonnier dans son camion réfrigéré.
Adéline accroche un billet de dix dollars dans l’encolure de mon chandail. –Attends, elle va venir le prendre, n’y touche pas,” dit-elle, comme si elle s’amusait à apprivoiser un animal. La fille s’approche à quatre pattes montrant toutes ses dents et sa lourde poitrine ballotait sous son corps. On dirait qu’elle essaie d’imiter vaguement une panthère. À deux pouces de mon visage, elle sort une langue spectaculaire de sa bouche et l’agite langoureusement devant moi, une longue chose bien rose assez longue pour monter cacher complètement ses narines, presque tout son nez. C’est sa marque de commerce, une langue pareille c’est plutôt rare. Un visage exotique, une origine difficile à identifier. Roumaine? Arménienne? Elle prend le billet et à sa mimique je comprends qu’elle me demande de le tenir avec ma bouche. Elle passe ses longues mains de chaque côté de mon visage, longue caresse sur mes joues, dans mes cheveux, avance sa bouche sur mon oreille et y murmure quelque chose que je ne peux pas saisir, l’accent est terrible. Puis elle ouvre ses lèvres rouges et botoxées devant ma bouche qu’elle gobe littéralement et s’en retire au bout d’un moment avec le billet complètement enroulé dans la langue.
Ouf, dit Adéline qui a visiblement chaud, le visage tout cramoisi. –“Oh oui, elle l’a, elle, oh que oui. Je te paye une danse avec elle.”
Après la chanson, Adéline appelle la danseuse. Elle me tire par la main suivant la fille qui nous guidait vers un cubicule discret.
…
–“Attendre, prochaine chanson,” baragouine la fille en faisant des ronds dans le vide d’un long index. Elle ne parle définitivement pas un bon français. Nous sommes assis l’un à côté de l’autre et nous regardons sur la piste une blonde avec d’énormes –faux– seins qui se dandine en les tâtant. Des cordes invisibles semblent relier les yeux des hommes au moindre mouvement du buste géant. Adéline, impatiente, nous observe. Je sens la chaleur irradier du corps plantureux de la fille. Le bras qui me frôle est humide de sueur. Son odeur exactement comme j’avais imaginé l’odeur d’une danseuse, sucrée.
–“Moi Léonida, toi?” demande la fille
–“Fuck, tu parles, je m’appelle Léon!”
–“Non, non, non, pas fuck, danse seulement,” répond Léonida nerveuse.
–“Et d’où tu viens, Léonida, pas un prénom commun?” Elle examine ses jambes, proprement rasées, luisantes d’une lotion pleine de petits cristaux brillants.
–“Bosnie Herzégovine, tu connais? Famille à Gaspésie, maintenant. Elle, dehors, c’est ton chérie?” Elle roule les r comme des roues carrées sur un parquet de bois.
–“Oui.”
–“Elle, jolie. Moi, ennui de ma famille, à Noël moi à Gaspésie, les trouver,” dit-elle tandis que je ne regarde plus la scène du même oeil, “Manger vraie nourriture, pas McDonald toujours, à Gaspésie.”
Je vois Adéline s’impatienter, se demander si elle a écopé de vingt dollars ou si elle va avoir son spectacle un jour.
–“Manque la famille, papochka et mamochka fait les cours en français, je veux voir s’ils parlent déjà, rire un peu. Chérie rit pas beaucoup, elle, hein?”
La chanson finit, une autre commence.
–“Pas savoir être aussi fatiguée avant de moi assoir. Parler encore un peu? Même si moi mauvaise langue française? Rattraper souffle un moment. Regarder filles un peu, eux souperbes ce soir.”
–“OK.”
–“Aurait dû écouter papochka plus. Mais mamochka touche mon coeur plus. Mamochka pas aimer papochka beaucoup, moi pas laisser tomber mamochka, pas trahir.”
J’étais sur le point de dire quelque chose, mais elle n’arrêtait pas.
–“Moi aime les deux. Quand Noël, moi à Gaspésie, aller moité mamochka, moitié papochka. Pas vu 3 ans, eux penser Léonida en école ici Montréal.”
Adéline se pointe devant le rideau, frustrée. –On n’a pas des choses à faire dans cette cabine?”, demande-t-elle sans même regarder la fille, ni lui adresser la parole. Mais Léonida comprend le sens de son intervention.
–“Moi juste rattraper souffle un peu. Travaillé fort poteau ce soir,” elle fait un rire nerveux, “commencer là, tout d’souite.”
Léonida grimpe sur moi, un genou chaque côté des appui-bras m’emprisonnant entre ses cuisses fabuleuses. Elle ondule sa croupe par en avant, par en arrière devant mon visage. Elle descend son corps et pousse ses seins sur mon visage. Je manque d’air. Des seins fermes mais surprenamment froids enveloppent ma tête totalement.
–Toi, aime les gros boubies?– autre rire nerveux de Léonida. Elle se penche et respire bruyamment dans mon cou. Sa langue digne du cirque pénètre mes oreilles tour à tour pendant que ses deux mains parcourent mon torse, je frémis, elle lèche mon cerveau, merde. –“Toi bien doux, oreilles bien propres, merci,” qu’elle dit. Puis elle galope poliment sur moi quelques petits coups, sans toutefois toucher à rien.
À travers la longue chevelure platine aux repousses noires de Léonida, je vois Adéline qui a discrètement tiré le rideau derrière elle, qui se gâte en observant le moindre détail. Elle a vu que je la voyais aussi et elle a souri. Elle a levé sa main libre en faisant le geste de fesser, elle me pointe du regard les grosses fesses de Léonida, elle mime des lèvres, clairement : tape ses fesses, tape ses fesses.
J’ai simplement fermé les yeux, laissé tomber ma tête par en arrière sur le dossier de la chaise.
La chanson se mourait, enfin.
Flying Bum
Bon jour,
Du langage corps chorégraphe à la langue possédée de son accent cette rencontre a le goût du sens unique …
Merci beaucoup de ta participation 🙂
Max-Louis
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Merci pour ton commentaire, ce fut mon plaisir 😉
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[…] Le 22 juin 2021 => texte de Flying Bum : La langue de Léonida […]
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Je ne dirai qu’une chose : c’est chaud, chaud, chaud…;-)
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Sacré Luc.
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On ne se refait pas, à l’âge que j’ai 🙂
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[…] Le 22 juin 2021 => texte de Flying Bum : La langue de Léonida […]
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Muy caliente ! Désolée hein, , je ne parle pas la langue de Léonida
Elle avait envie de s’épancher la diva de la pool dance ! Hélas pour elle, on ne la paye pas pour ça mais pour le langage du corps dans lequel elle excelle !
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Derrière les insignifiances du genres humain et les stupidités de l’hommerie, toujours se trouve l’humanité et souvent elle prend un visage de femme. Merci du commentaire!
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[…] Flying Bum […]
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