Le coeur d’Adéline se gonfle comme si elle avait oublié de fermer une valve. Il semble énorme et elle respire profondément un grand coup. Ou elle est exaspérée et elle soupire puissamment. Il est quand même mignon, le jeune homme qui l’accompagne. Une dense volée d’oiseaux noirs semble aspirée par le feuillage abondant d’un arbre. Ou, c’étaient peut-être des chauves-souris. Adéline a une peur bleue des chauves-souris, toutes ces histoires à propos des chauves-souris qui collent aux cheveux la terrorisent. Adéline et Léon sont au zoo.
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Léopold a tellement promis au petit de l’emmener, combien de fois avait-il remis le doux instant. Aujourd’hui, c’était enfin le jour J. Enfin pour le petit, Henri. Léopold a réglé leur admission et ils ont passé le guichet, passé la boutique en forme de hutte africaine. Henri était impatient de se projeter carrément dans l’enceinte du zoo. Cela faisait l’affaire de Léopold, que le petit passe la boutique et oublie toutes les promesses de mousse collante et de boisson gazeuse, de dégâts de boisson gazeuse. L’air frais du matin transportait déjà une odeur rance et musquée d’animal vers les narines de Léopold.
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Léon aurait aussi bien pu inviter Adéline à l’allée de quilles ou à l’aréna, manger des frites à la cantine. Jouer aux quilles, patiner, manger des frites. Léon avait choisi le zoo. Le zoo, c’est pareil comme l’allée de quilles ou l’aréna sauf qu’on est libres de son corps. Pareil comme l’allée de quilles ou l’aréna sauf qu’il y a tous ces animaux à regarder, au zoo.
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Les grues, les cigognes se tiennent sur une patte, pressées les unes sur les autres dans pas plus d’un pied d’eau, une eau brune et saumâtre. Elles semblent déplumer sur place, ou muer ou quelqu’autre activité à laquelle ces oiseaux pouvaient s’adonner, quelqu’autre mal épidermique qui pouvait les affecter. On se gratterait rien qu’à les observer. On pouvait voir des bouts de peau rose hérissée là où le plumage se faisait plus rare. Des plumes flottaient sur l’eau malodorante. Une des cigognes, apparemment la plus vieille du groupe ouvrait constamment son bec et laissait échapper un son râpeux et maladif. Une odeur de bête malade sautait directement aux narines avant de tomber sur le coeur.
–“Papa, papa,” crie le petit Henri, “c’est elle qui nous apporte les bébés?”
–“Oui,” répond Léopold, secrètement terrifié et dégueulé de la chose.
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Le ciel est blanc comme la neige. Adéline, vieille fille de trente-deux printemps, ne se souvient plus de ce que l’Adéline de vingt-deux printemps avait l’air. Elle sait une chose, elle a passé beaucoup de temps devant le miroir à se regarder mais elle ne s’est jamais vraiment vue. Elle a vu ses amies disparaître les unes après les autres, s’enfermer dans des logements, des maisons, avec des hommes. Leur faire des enfants. Torcher des enfants, des maisons et des hommes.
–“As-tu vu, Adéline, les cigognes? C’est pas ça qui apporte les bébés?” demande Léon.
Les enfants, ça nous sort par la noune dans une douleur du tabarnak, crétin, pense Adéline pour elle-même.
–“Calvaire que leur vie a l’air plate dans leur étang, les cigognes,” qu’elle répond à Léon.
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Les ours polaires étaient dans le top 10 du petit Henri et de bien d’autres petits morveux agglutinés alentour de leur faux paysage arctique en fibre de verre à la peinture blanche craquelée. Le soleil commençait à taper fort et la plupart des ours se planquaient à l’ombre quelque part. Une grosse femelle haletante et la langue pendue tournait le dos à la foule loin au fond de sa cage. D’autres faisaient des saucettes dans le petit lac artificiel nageaient sur le dos, descendaient sous l’eau, passaient devant la vitre et y donnaient un coup de patte en passant au plus grand bonheur des enfants puis regrimpait sur la berge et se secouait un grand coup. Saute, plonge, sort, s’essore, saute encore. Les petits enfants en bataillon serré, le nez morveux et les mains sales bien collées sur la vitre et Léopold y voyait que dalle, à travers l’épais verre embrouillé par les sueurs, la morve et la salive accumulées d’autres enfants avant eux.
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Léon demande à Adéline si elle veut un Coke, elle dit que non. Il s’en prend un pour lui et c’est Adéline qui l’a presque tout bu finalement. Ils observent un couple de rhinocéros sur une colline poussiéreuse, deux rhinocéros totalement immobiles sur une colline poussiéreuse. Léon observe, hypocritement, les rondeurs d’Adéline dans sa robe de coton.
–“Calvaire que leur vie a l’air plate sur leur tas de poussière,” dit Adéline avant de rendre à Léon sa canette de Coke vide.
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Le petit Henri, à qui la mémoire était bien revenue, exigeait à hauts cris sa boule de mousse sucrée mais Léopold réussit à le convaincre de dîner avant de passer aux sucreries. Ils ont trouvé une table à pique-nique libre près de la cantine et ils ont mangé. À la table voisine, un groupe de déficients mentaux en sortie de groupe mangeaient aussi avec une grâce discutable. Une de leurs chaperonnes, une grosse madame avec un gaminet aux allures d’un parachute et des shorts en spandex vert fluo, se décrottait le nez sans gêne, au vu et au su de tout le monde. Elle lâche un grand “Quoi?” à Léopold qui la fixait du regard pendant sa pêche aux crottes de nez. Léopold, embarrassé, détourne le regard.
–“Papa, papa, regarde, la madame elle se fouille dans le nez!” pointant du doigt directement sur elle pour éviter toute confusion.
–“Je sais, je sais,” répond Léopold tout en ramassant précipitamment leurs déchets sur la table à pique-nique et en attrapant Henri sous le bras et le tirant plus loin, sans jamais croiser le regard avec elle.
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Une hyène se lèche le derrière avec un enthousiasme délirant pendant que des badauds excités la prennent en photo.
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Qu’est-ce que je fais ici avec une fille de dix ans plus vieille que moi, se demande Léon, pendant que lui et Adéline sont postés devant la cage des singes. Qu’est-ce qu’il me veut, ce p’tit jeune-là, se demande Adéline de son côté. Me semble que je ne lui ferais pas mal, me semble que ça me ferait du bien à moi aussi. Une fois de temps en temps. Je vois pas le mal.
Trois ou quatre primates mâles de l’autre côté de la vitre se masturbent allègrement au plus grand inconfort des parents qui bouchent la vue aux enfants soudainement hystériques devant le spectacle. Elle est juste sur le bord d’avoir l’air défraîchie même si moi je la trouve quand même de mon goût, pense Léon, on doit pas faire la ligne devant son lit, sûrement qu’elle voudra bien que je la saute un de ces quatre, pense Léon en lui-même.
–“Leur vie doit être plate en calvaire pour qu’ils se crossent tout le temps, sans gêne, devant tout le monde de même,” dit Adéline à un Léon soudainement écarlate. Elle a du mal à retenir son rire en s’imaginant Léon tout nu à travers les singes, se masturbant gaiment.
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Léopold a cédé. Il a acheté une énorme boule de mousse en sucre au petit Henri, ils sont assis sur un banc et se la partagent. Léopold filait déjà nauséeux avec toute cette chaleur et un tel apport en sucre n’arrange en rien son cas. Derrière eux, deux employés nettoient une cage vide.
–“J’ai enfin réussi à convaincre Lauréanne à me faire une pipe,” dit un des deux hommes le dos appuyé sur la cage tout juste en arrière d’eux. Drôle de hasard, sa femme aussi s’appelait Lauréanne et sa femme aussi ne lui avait jamais fait une pipe sauf une fois au chalet. Léopold, pris d’angoisse, se demande si le petit Henri sait c’est quoi une pipe. Avant qu’il ne pose des questions, Léopold prend le petit par le bras et le traîne littéralement de force devant l’enclos des girafes, plus loin.
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Léon demande à Adéline si elle aimerait ça une boule de mousse. Elle dit que non mais c’est Adéline qui l’a presque toute mangée. Une grande tache bleutée de mousse s’est ramassée sur le bord des lèvres d’Adéline et Léon se lèche le pouce et essuie délicatement les lèvres et la joue d’Adéline et tout le visage d’Adéline tourne au rouge écarlate. Elle passe sa main derrière la tête de Léon et l’attire violemment contre elle et leurs bouches se touchent, leurs langues se mêlent avec passion. Lorsqu’elle rouvre ses yeux, une dague rouge vif sort du corps d’une girafe, comme sanguinolente et spastique, une érection de girafe qui s’apprête à se hisser sur une autre girafe.
–Tu parles d’une vie plate, obligée de bander devant tout le monde, pauvre girafe, pis fourrer aussi,” dit-elle à Léon, comme confuse et gênée de réaliser ce qu’elle vient de dire, et aussi avant de voir du coin de l’œil le bermuda de Léon qui semble soudainement habité.
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Pour Léopold, c’est curieux, toutes les girafes doivent être des femelles. On dit bien une girafe, non? Léopold et Henri observaient au loin les animaux aux grands cous lorsque ce qui semblait au départ un jeu innocent s’est mis à prendre une tournure troublante. Une girafe grimpait sur l’autre, son pénis émergeant bien droit d’une gaine huileuse. Léopold ne pouvait s’empêcher de voir là comme une dague, l’acte étant violent en apparence. Le pénis de la girafe était pourtant à peu près de la taille de celui d’un humain mais en plus rose, plus effilé, vulgaire. L’attention du petit Henri était automatiquement captivée.
–“Papa, papa, qu’est-ce qu’ils font là, on dirait qu’ils essaient de se faire mal,”
Des badauds présents près d’eux se sont tournés vers eux, curieux d’entendre la réponse de Léopold.
–“Ben non, ils ne se font pas mal, ils font rien que s’amuser, c’est comme ça que les girafes jouent.”
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Chaque fois que j’ai cédé, se dit Adéline, je l’ai regretté. Lorsqu’ils ont fini de s’amuser avec mon corps, ils virent de bord et je ne les revois plus. Jamais. Quand je pense à ceux qui sont restés dans la vie de mes amies, je me dis que c’est probablement mieux de même.
–“Est-ce qu’on va finir l’après-midi chez moi?” demande Léon, “j’ai du bon rosé bien froid, c’est-tu vrai que toutes les filles aiment le rosé?”
–“N’importe quoi,” répond Adéline, “envoye, amène tes fesses, mon beau Léon,” gueule Adéline “vite, vite, avant que je change d’idée,” puis elle tirait Léon par le bras en courant vers la sortie du zoo, sa robe dans le vent dévoilant ses belles cuisses blanches, ses deux mamelles sautillant d’un bord et de l’autre.
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Léopold a dû ramener le petit à l’auto, totalement épuisé, sur ses épaules. Ils sont restés silencieux tout le long du trajet de retour mais, de façon générale, le petit avait adoré sa journée.
–“Est-ce que mes deux hommes ont eu du plaisir?” demande Lauréanne aussitôt qu’ils avaient pénétré dans la maison. Elle écoutait la télé, une pub jouait derrière, une pub de restaurant populaire, une fille en bikini lavait une voiture sport, un boyau dans une main, un hamburger dans l’autre.
–“Oui, c’était cool, maman,” répond Henri, avant de courir en vitesse vers sa chambre, jouer avec des animaux en plastique que son père lui avait achetés dans la hutte africaine.
–“Et toi, mon amour,” Lauréanne demande-t-elle à Léopold qui se laissait choir, vanné, sur le grand divan du salon.
–“Oui, c’était bien,” répondit Léopold qui n’avait aucun comparatif pour se faire une opinion. Jamais son père ne l’avait emmené au zoo, lui.
–“C’était vraiment très bien,” répondit-il en hochant légèrement de la tête, souriant du bout de la gueule, comme s’il croyait un tant soit peu à ce qu’il venait d’affirmer.
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Adéline et Léon se sont promis l’éternité le soir même, Léon s’est amusé avec le corps de sa belle Adéline à bouche-que-veux-tu, entre autres choses qui ont meublé leur soirée et une grande partie de leur première nuit.
À Noël, ils se sont mariés et avant le nouvel an, Adéline a commencé à s’enfermer dans des logements, des maisons, avec Léon. Des enfants sont péniblement sortis de sa noune. Des enfants qu’elle a torchés, des logements et des maisons qu’elle a torchés aussi, autant qu’elle a torché Léon.
Tout ça pour une girafe bandée?
Flying Bum
Je me suis régalée! Merci, Luc, pour ce très vif plaisir de lecture. ✨❣️
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Merci Geneviève, bonne journée !
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Tisser une histoire en forme de fromage à trous , c’est pas la première que j’adore et sûrement pas la dernière 😉
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