1.
Pour un instant, j’ai réellement cru que l’indépendance était en train de se faire. Les gens couraient en tous sens par les rues. Des missiles, dirigés et mis à feu par des ontariens bien camouflés et invisibles ont fait disparaître deux pâtés de maison à Longueuil. Les arbres se désintègrent à Loretteville. Les anges sur les nuages chantent enfin pour nous. Quand les hommes vivront d’amour…
Les familles, les amis, de parfaits étrangers se sautent dans les bras les uns des autres sans égard aux odeurs corporelles, à la grosseur des comptes en banque ou à la couleur de l’impôt. Les banquiers enlacent les vidangeurs. Les agents de voyage font les valises des anglais. Les enfants sautent dans les bras des meurtriers et moi je m’agrippe à toi. Tu n’étais même pas là, mais nous étions si proches jadis, je ne savais plus à qui étaient tous ces cheveux. Ils sentent tous pareil.
Tous les deux, on pourrait se créer des ailes à partir de vieux rideaux et de la gaze. Je pourrais te répéter ad nauseam “dlagaze, dlagaze, dlagaze” jusqu’à ce que ce mot ne veuille plus rien dire. Si tout se mettait à bien aller, tour à tour nous nous couserions ces ailes sur les omoplates, on s’envolerait, pas très haut bien sûr, on atterrirait sans trop de difficultés, on s’envolerait encore.
Aujourd’hui je réalise l’ampleur de ma bêtise. Il n’y a pas d’indépendance qui se fait, qui ne se fera jamais de notre vivant du moins. Seulement voilà, il me manque cruellement une chaussure. J’ai passé des jours et nuits à l’enlever puis à la remettre, toujours la même, et les choses n’ont pas fini comme je l’aurais espéré. Je ne sais plus où elle est ni ce que sera ma vie maintenant, chaussé d’un seul pied.
2.
J’étais confiné, sans emploi, incapable de structurer mon emploi du temps. J’aurais bien voulu reprendre le voyage astral, la méditation transcendentale, mais mon esprit était un peu rouillé. Il s’est scindé en deux sans prévenir et chaque partie s’est précipitée sur deux chiens différents. Mon esprit a toujours eu l’esprit tordu, jamais scindé. L’une moitié sur un sale bâtard jaune et l’autre, sur un beau petit chien de madame, de maison, propret et bien éduqué.
Comme chien de maison, j’ai ressenti de l’amour comme jamais auparavant dans ma chienne de vie, je suivais, j’obéissais, je m’écroulais sur le dos comme une pétale tombée au sol, les quatre fers en l’air et des doigts agiles parcouraient mon abdomen délicatement comme la lumière sur les pétales de rose. Je me laissais enfiler le collier, je mangeais ce que la madame mangeait, seulement dans un petit bol par terre.
Comme sale petit bâtard jaune, je vagabondais. On m’associait bientôt à telle ou telle ruelle, tel ou tel autre bâtard comme moi. Je terrorisais plusieurs bêtes, écureuils, chats et rongeurs. Je suivais les odeurs. Je pistais, je traquais. J’ai traqué un autre bâtard, je l’ai baisé. Je sentais ma bonne conscience se dissoudre. J’ai suivi un sans-abri et je le considérais comme un membre de ma meute, aucun de nous n’était vraiment l’alpha, aucun de nous n’était vraiment un chien. Nous étions la neige et la pluie, nous urinions sur les édifices de cette ville érigés comme des pierres tombales remplies de fantômes, à l’effigie de personne.
Mais encore, un jour le sale bâtard jaune a croisé le beau petit chien de maison de madame et l’a baisé lui aussi. Cela semblait la chose la plus naturelle à faire, toutefois singulière à réaliser, me baiser moi-même. C’était comme plonger en moi, descendre les marches d’une piscine où l’eau était à la même température que l’air. Mais lorsque la madame nous a surpris, elle m’a frappé à grands coups de balai et les chiens se sont séparés et mon esprit est redevenu un, le mien.
Avez-vous déjà vu une chose pareille? Un endroit où deux chiens si vivement attirés l’un vers l’autre s’accouplent enfin mais tout se produit si brièvement et se termine de façon si violente que vous êtes certains que cela n’aura même pas un peu compté pour elle?
3.
Je n’arrête pas de penser pour moi-même que je serais sorti d’ici en un rien de temps si je me dirigeais droit vers la porte mais je me retrouve constamment dans une pièce ou une autre. Je ne suis même pas certain si je suis encore dans ma propre maison. Jamais je n’aurais peint un mur vert pomme, jamais je n’aurais fait rembourrer un divan avec du velours bleu royal. Je n’arrête pas de croiser des gens que je n’ai jamais croisés auparavant. Certaines disent être ma tante, se promènent flambant nues en sirotant des thés gingembre-citron. Une qui affirme être ma sœur, je n’ai jamais eu de sœur, mais elle tient un pistolet chargé braqué sur moi, cette sœur-là.
Des lettres arrivent continuellement, adressées à des gens qui n’habitent pas ici. Ou qui ne se sont pas installées encore. J’aime bien observer ces missives passer par la craque du passe-lettres et échoir sur la mosaïque du vestibule. Elles me rappellent que cette maison n’est qu’une sorte de halte, temporairement envahie par des étrangers. Aujourd’hui, un huissier est venu déposer un mandat d’arrestation pour une personne que je ne connais ni d’Ève ni d’Adam. De bonnes chances que cette personne en cavale soit loin d’ici maintenant.
Tout de même j’ai composé le numéro sur les documents et je me suis livré moi-même, j’ai attendu que le panier à salade vienne me cueillir sur le balcon, je voulais tellement partir d’ici, l’occasion de ma vie qui se présentait à moi.
Au poste de police, un homme en uniforme m’a longuement questionné sur ma compréhension de la loi, sur ma santé mentale, mon nom, toute cette sorte de choses. J’ai répondu du mieux que je pouvais considérant ma connaissance limitée du dossier. Il m’a demandé, “Comprenez-vous bien l’ampleur de votre crime?” Il affirmait que les lois sont là pour une raison. J’ai pensé à toutes les fois où j’ai enfreint impunément une loi ou une autre. J’ai pensé à tous ces autres actes que j’ai commis sans enfreindre la moindre loi et qui m’ont valu d’être puni quand même. Dans la cellule, un homme plutôt singulier m’a longuement dévisagé avant d’affirmer n’avoir rien fait lui-même mais il avouait me reconnaître. Il m’a dit “Je vous reconnais, vous.” Puis, “À bien y penser, non, je ne vous connais pas.”
Quand l’homme en uniforme est revenu, je suis redevenu un homme libre. Il m’a conduit hors du poste de police, m’a supplié de ne pas me mêler aux gens dehors, les gens sont une telle source de confusion parfois, m’a-t-il dit. Il m’a tendu la carte d’affaire d’un psychanalyste local en me disant au revoir.
Mais l’adresse sur la carte était la mienne. Comment ai-je pu me retrouver dans cette maison? Comment ai-je pu m’en enfuir si facilement?
Flying Bum
Bonus ! En prime, un petit poème.
Nouvel an en Tchéchoslosomnie
Quelle admirable odyssée
Que de grandes choses à faire
Les bilans des bilans laissés en plan
Des listes de merveilles à réaliser
Des listes de listes reclassées à hue et à dia
De basses résolutions en haute définition
Les images à se faire et se rejouer
Une pièce en huit actes
Un décor de vaudeville
Mais gare à l’ambition
Déception garantie si ô pure folie
Dans les brumes de la Tchéchoslosomnie
On tentait de réinventer la roue
Et réaliser les yeux grand ouverts
Que l’utopie rarement engendre
La force d’aboutir.
FB
j’aime.
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Je me suis régalé !
Je suis de plus d’accord avec l’ajout final de Tch…
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Rares sont les amateurs d’écriture automatique, je vous salue!
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L’éveil n’est pas une sinécure, c’est ce que découvre le narrateur de ce récit. C’est le second effet kiss cool de la béatitude première. Après on fait du yoyo, ou de la poésie, heureusement il y a la poésie, mille fois mieux que la psychologie 😉 hauts les cœurs mon ami !
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