Sur le bureau de l’homme à la coupe Longueuil, une plaque de laiton sur laquelle est gravée la seule règle qu’il connait : Pas de niaisage avec l’homme à la coupe Longueuil.
Bien enfoncé dans sa chaise qui craque et qui couine, sur fond de compilation Classic Rock, les yeux rivés sur sa cliente, une femme mi-quarantaine à la chevelure blond miel. Elle prend tout le temps qu’il faut pour bien examiner la splendeur indéfinissable de la coupe Longueuil de l’homme à la coupe Longueuil devant elle. Puis elle s’écrie tout d’un trait : “Ma fille est disparue depuis six mois, elle n’a que seize ans !” Elle tend à l’homme une photo d’une fillette au visage envahi de taches de rousseur dans son habit d’écolière. Puis elle lui tend une autre photo de la même fille, seulement accroupie de dos ne portant qu’un g-string avec un serpent tatoué sur la colonne. Ramassés dans un coin de la photo, des mots griffonnés : “Hé, m’man ! J’me débrouille pas pire, t’inquiètes!” et c’est signé Adéline, xoxo.
L’homme à la coupe Longueuil trouve la photo en g-string et tatouage beaucoup plus belle que l’autre mais là n’est pas la question, il accepte le cas de toutes façons. Il aime les cas, n’importe quel cas, il adore son boulot. Il adore, vénère peut-être, sa coupe Longueuil également. Sa coupe Longueuil le fait se sentir bien, se sentir masculin et sexy et il se fout totalement de l’opinion que les gens se font des autres gens qui portent la coupe Longueuil. Les gens n’y comprennent que dalle à la coupe Longueuil, le devant court pour le bureau, le derrière long pour la fête, pas besoin d’avoir inventé le bouton à quatre trous pour comprendre. Il parle toujours d’une grosse voix empruntée et boit sa bière à même la cannette, porte un gros ceinturon noir, la clope au coin de la gueule. Sa Corvette est montée sur des blocs derrière chez lui mais un jour, il finira de la remonter, un jour, parce qu’il aime sa voiture comme sa propre mère. On est comme on est, se dit-il, et il se charge de l’apprendre à tout le monde qu’il croise, je suis l’homme à la coupe Longueuil.
***
L’homme à la coupe Longueuil lance négligemment sa carte d’affaires sur le bar. C’est écrit L’homme à la coupe Longueuil, détective privé et dessous, en plus petit Pas de niaisage avec l’homme à la coupe Longueuil. La barmaid plutôt ragoûtante a les cheveux courts, roux, un perçage au coin d’un œil. Ses bras sont couverts de tatouages et de bracelets; une superbe fille, superbe lesbienne. Son enquête l’avait conduit là, à Montréal, rue St-André au sud de Sainte-Catherine. Toutes les jeunes filles en fugue se ramassent à Montréal, c’est comme l’œuf de Christophe Colomb. Mais cette ville n’est pas la ville de l’homme à la coupe Longueuil. Il se faisait regarder bizarrement, du coin de l’œil, à la minute même qu’il avait traversé le pont Jacques-Cartier parce que s’il y a une chose que les freaks de Montréal ont en sainte horreur c’est un homme à la coupe Longueuil. Il avait dû plus d’une fois affirmer à son corps défendant son mot d’ordre menaçant : Pas de niaisage avec l’homme à la coupe Longueuil. Il se retient de l’invoquer à l’instant même. La lesbienne lui offre un sourire douteux en continuant de tourner un chiffon dans un verre, comme si de rien n’était.
“Avez-vous vu cette fille?” Il brandit la photo devant le nez de la barmaid.
“C’est quoi ta coupe Longueuil, un fantasme ou quoi?” qu’elle réplique.
“Rien. C’est rien que des cheveux.”
La barmaid lui lance un regard de feu. “C’est pas rien que des cheveux. C’est une fuck’n coupe Longueuil.”
“T’as l’air d’une vraie rebelle, toi,” dit-il, “c’est quoi d’abord ta jupette aux motifs d’Hello Kitty?”
“Bah, une mode. Je trouve ça drôle, un peu stupide.”
L’homme à la coupe Longueuil mâchouille un cure-dents. “tu veux dire que tu aimes ça parce que c’est un peu stupide?”
“J’aime ça et je pense que c’est stupide.”
“Moi je l’aime ma coupe Longueuil, elle fait partie de moi.” Il se penche vers la barmaid. “Ne me joue pas cette carte stupide, ne joue pas l’amour-haine-amour avec moi parce que tu n’aimes pas la coupe Longueuil, pas cette sorte de jeu. Je suis un homme de passion. Je suis moi et 100% moi-même et je suis . . . l’homme à la coupe Longueuil.”
Du coup, un Tennessee on the rocks atterrissait devant lui.
***
L’homme à la coupe Longueuil se réveille au petit matin dans le lit de la barmaid, tout emberlificoté dans ses draps en tempête, une bouteille de whiskey sur le plancher. La barmaid dort, pâle et nue, c’est donc vrai, pense-t-il, que les rousses sont si blanches avec tous les petits accessoires de nuit roses comme de la gomme balloune. Une constellation de perçages qui scintillent ici et là sur son corps dans le soleil levant qui entre par la craque des rideaux. L’homme à la coupe Longueuil sort du lit, s’étire voluptueusement.
Un truc attire son regard sur la commode : une publicité pour un club de danseuses nues. Et là, sur la photo du prospectus, enroulée dans un poteau de laiton, les cheveux défaits, un serpent qui se tortille sur sa colonne avec elle, Adéline dans son plus beau costume d’Ève. Une autre pépite qui tombera sous peu dans les goussets de l’homme à la coupe Longueuil. Qui peut cacher quoi que ce soit à l’homme à la coupe Longueuil? Sûrement pas une Adéline de seize ans ou une barmaid probablement bi-sexuelle finalement.
À ce moment précis un clic retentit du radio-réveil et l’air de Whole lotta love envahit la pièce. L’homme à la coupe Longueuil lance ses cheveux derrière sa tête d’un mouvement théâtral, les peigne vite vite avec ses doigts, fait de grands cercles avec ses bras avant de les positionner pour la meilleure toune jamais composée pour le air guitar. À l’autre bout de la chambre, la barmaid maintenant à moitié réveillée est assise au bord du lit et observe l’homme à la coupe Longueuil dans sa magistrale nudité – qu’il a fort probablement oubliée – qui se fait aller dans un ébaubissant solo de guitare invisible sur la musique de Led Zeppelin, la quéquette qui suit la danse.
“Tabarnak,” pense-t-elle, “Veux-tu bien me dire quelle sorte de bozo j’ai ramené à la maison hier soir? C’est qui ce gars-là?”
Mais dans le fond d’elle-même, elle sait. Tout le monde le sait.
C’est l’homme à la coupe Longueuil.
Flying Bum
Tu m’épates souvent avec tes envolées anthropologiques. Et celle-ci n’est pas la moindre.
J’sais pas comment tu fais.
En plus, j’ai souri. Souri. Souri. Ri. Rigolé. Souri. Ri. Rigolé.
Bref, tu m’as eue.
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Comment je fais? J’essaie de ne jamais faire dans le jugement ou le mépris dès qu’il est question de gens pas très singuliers. Merci pour ton commentaire, bonne journée.
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Magnifique. J’aurais possiblement une affaire à résoudre si l’homme à la coupe Longueuil est partant. Je cherche mes clées…
…ah non, ça va. Les ai retrouvées.
Merci pour ce divertissement, nous en avons tous grand besoin.
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Merci Gitane 🙂
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