La crête dentelée de la forêt d’ifs trace une ligne dure dans la lumière crue qui s’étend à l’horizon. Le ciel est lentement siphonné par le soleil qui s’enlise. Je regarde vers ma gauche et il y a là Adéline, et je suis submergé de joie de la voir là. Hébété par le ravissement, ébaubi par la surprise impossible, son âme bien vivante, je retiens des larmes parce que c’est ce que je fais, ce qu’il y a de mieux à faire. Je lui dis que j’ai vu sa famille, comme elle me l’a demandé. Sa fille est une petite déesse, ses fils deux dieux.
Adéline me regarde et nous rions en dévalant le sentier. Nous faisons semblant d’être braves et à ce jour nous nous croyons toujours aussi braves. La braverie est un sport que nous avons longuement pratiqué jusqu’à ce qu’on dise de nous que nous étions des as. Nous sommes si jeunes, nous serons toujours aussi jeunes.
Puis, des choses arrivent. Les choses arrivent toujours et Léon n’est désormais plus Léon ; Léon n’est plus que quelques éclats de vie ici et là sur son visage gris, éclaboussures d’un sang qui n’est pas le sien parce que Léon a survécu tout ce temps.
Pendant qu’il ne fait presque plus jour, je descends à la crique. La crique efface tout. Il ni y a ni eau, ni torrent, ni rivière dans le désarroi. Ni le doux gargouillis de la crique pour enterrer toutes les traitrises, les disparitions, les déchirements, rien.
Désolé! Et la ville et le pays, et la terre. Merci pour la belle parade, le cirque, la crique, merci mes rêves éveillés pour me laisser encore habiter ma chambre d’enfant jusqu’à ce que “je retombe sur mes pieds.” Merci pour tout. Merci, merci, merci. Je remercie toujours les gens, les gens me remercient parfois, même lorsque je crois sincèrement appartenir à quelque chose de plus grand, mais encore, plus si grand que ça quand j’y repense.
Le soir, toujours je rejoins Adéline. Nous sommes la brume, la vapeur qui s’échappe de la crique. Bien assis ou allongés au bord de la crique, nous nous demandons ce que le mot “futur” peut bien vouloir dire maintenant que le futur est là. Nous écoutons la musique hypnotique du temps qui passe. Lorsque j’ouvre les yeux, en écoutant le flot de la crique, mes yeux fixent vers le haut, parfois le ciel est noir, opaque. C’est là la chose la plus difficile, la nuit, le calme, l’absence. On dirait qu’il n’y a plus de chemin pour rentrer chez moi, plus de retour, plus d’issue.
Je reviens et je porte l’odeur d’une forêt, de l’embrun d’une crique. Comme un animal qui revient de ses quartiers d’hiver, l’hibernation – d’un long sommeil sans rêve. J’aimerais bien que tout ça soit vrai.
Je ne partage pas tous les secrets qu’emporte l’eau qui se précipite vers l’aval. Je n’ai jamais partagé Adéline non plus.
“Tu vas où la nuit?” Mon frère a l’air inquiet. Comment lui dire, comment mettre des mots dans le blanc des interlignes?
Ils ont tous l’air si inquiets, si pleins de doutes. Surtout inquiets. Ils me regardent toujours un peu de côté, l’oeil au coin de leur curiosité malsaine. Fâchés, peut-être. Irrités comme s’ils regardaient un tour de magie raté. Le bel oiseau plonge dans le chapeau, le chapeau est vide. Les spectateurs espèrent que le bel oiseau soit toujours vivant, seulement là où personne ne peut plus le voir. Et à la fin, le magicien ramène un oiseau, mais pas le bon.
Raté.
Allongé dans l’herbe enveloppante sur le bord de la crique à écouter l’eau me parler, un langage codé pour moi, à moi seul. À regarder le ciel de nuit. Convaincu que la nuit ne fait que voiler le jour. Je soupçonne la clarté tapie sous le noir, criant présente! à travers des trous de clous percés dans le plafond du ciel.
Si seulement je pouvais retourner là. Le soleil qui m’attendrait tout doux comme un ventre sec et chaud. J’y trouverais aussi Adéline et je resterais là, elle aussi peut-être bien. Nous nous assoirions tous les deux dans le sable céleste et nous nous rappellerions l’air autour de la crique qui emplissait de vie nos poumons si facilement, si doucement. On parlerait de la maison. Du bois, des lacs, des étés et de la fièvre. On pourrait s’imaginer que l’abîme ouverte sur notre longue absence se refermerait à notre retour, comme par magie, un tour bien réussi, comme une suture invisible sur nos ventres déchirés.
Je gis là en pleine noirceur, rien d’autre que la crique et les herbes humides, et je ferme les yeux. Derrière l’ombre se cache la lumière, derrière l’ombre là où brûlent à blanc les os. Et le vent aride les éparpille au loin. Là où les bons comme les mauvais os reposent pêle-mêle. Que diable, suis-je en train de prier? Dieu laisse-moi y aller, aller là d’où je suis venu, ne me laisse pas ici dans ce lieu que je ne reconnais pas.
J’attends que les premières pointes de lumière passent du noir au violet profond et que le ciel s’abandonne lentement aux bleus qui réclament leur retour, que l’eau de la crique redevienne limpide, que les algues y reprennent sans pudeur leur éternelle caresse sur le dos des pierres rondes.
Le chant des oiseaux sortis d’un chapeau du matin enterre maintenant le subtil murmure de la crique.
Et je sais alors qu’il est temps de rentrer.
Flying Bum
Bonus !
Le mois de mai
Salomé Leclerc
Dis-le
Ne le dis pas
Prends-moi dans tes bras
Fais comme
Comme si ça va
Nos corps ne penchent pas plus bas
Quand j’ai crié
Pour que résonne
Le mois de mai
Jusqu’à l’automne
Un visage s’est fané
Dis-moi
Dis-le tout bas
Le ciel entre par le toit
Quand j’ai crié
Pour que résonne
Le mois de mai
Jusqu’à l’automne
Une étoile est tombée
Le mois de mai
Jusqu’à l’automne
J’ai failli m’envoler
Nous n’étions pas un poème
Nous le sommes devenus quand même
Nous n’étions pas un poème
Nous le sommes devenus quand même.
Beau. Texte.Devenu un poème.Et pis l’histoire. Et la tendresse.Et pis la brume, et la vapeur pis le ruisseau….Et pis aussi les vidéos…que je me suis enfiléesen te lisant et après.Sans savoir où ça menait.Beau flash.
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Plate… j’avais pris la peine de coder mon commentaire… je l’ai même testé sur mon site… ça fonctionnait… entéka. Y devrait y avoir des espaces et des retours de chariot… pis y’en a pas…
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Merci fidèle Caroline. Pour la poésie, effectivement, pas facile les retours de charriot dans WordPress. Moi je prends “Notes” sur mon Mac et WordPress respecte les retours lorsque je recolle les textes, ce que “Words” ne fait pas.
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« Notes » respecte l’italique aussi?
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Toute la patente. Retour, double retour, espace, gras, italiques, une merveille pour un truc gratuit sur tout bon mac. Oups. Sauf la tabulation.
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Je suis sur Mac aussi… Le code html a fonctionné pour des commentaires sur d’autres sites. Le retour de chariot et toute la patente… Oh well. On peut pas tout’ les avoir, comme dirait l’autre.
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high level ! on a envie de s’étendre au bord de se lac à la brune quand l’ombre se fait complice…. merci, c’est beau.
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Merci Hélène! Bonne journée!
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à toi aussi Luc
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Merci tant, Luc. Bonheur. Rien d’autre.
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Merci Geneviève 😁
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Très fort. J’y étais.
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Merci Johanne 😁
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Et bien voilà ! On y est ! (au point de départ de vos ruisseaux futurs, jaillissant -joyeux- pour remplir le grand bain de votre littérature)
🙂
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Un poète de chez nous (Raoul Duguay) le chante depuis longtemps : Toute est dans toute. Merci pour le beau mot et bon dimanche 😀
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