La Paloma adieu, opus 2

La dernière fois que j’ai vu Paloma c’était trois jours après sa mort. Elle était dans ma cuisine, elle lavait la pile de vaisselle sale qui traînait dans le lavabo.

“T’as vraiment pas besoin de te taper toute cette vaisselle,” que je lui dis, avant de réaliser vraiment à qui je parlais. Elle n’a rien dit, elle a simplement tourné la tête pour me regarder.

Je sais ce que vous pensez. Des vêtements en lambeaux, des yeux luisants aux iris obstrués par la blancheur des cataractes, une peau blanche verdâtre, un long ver qui se dandine en sortant de sa bouche ouverte. Vous avez lu toute cette sorte d’histoires de revenants qu’enfants on se racontait beaucoup trop théâtralement dans les soirées-pyjamas pour se faire peur.

Non. Paloma ressemblait exactement à elle-même.

Belle comme un soleil d’Espagne. Ce n’était pas une visiteuse de l’outre-tombe, juste une stupide erreur d’aiguillage du préposé à l’espace-temps. L’eau du robinet déviait sur ses blanches mains – c’est ce qui m’avait frappé. L’eau déviait sur ses mains comme si elle était vraiment là, dans ma cuisine, à laver ma vaisselle.

Une chose à propos de Paloma, elle avait des yeux du plus profond des bruns, comme des puits d’émotion sans fond. J’avais tout le temps peur de m’en approcher de trop près, des plans pour tomber dedans.

***

L’avant-dernière fois que j’ai vu Paloma c’était trois semaines avant sa mort. Sortie de nulle part, elle m’appelle pour savoir si je veux aller prendre un verre, tout de suite, maintenant. “Bien sûr,” que je lui dis, “Je laisse tout tomber sur-le-champ, je n’ai rien d’autre à faire. Je n’ai pas de vie.” Malgré le sarcasme, nous nous voyons quand même et pour être honnête je n’ai pas très bien compris toutes les circonstances exactes. Elle semblait distraite, elle riait trop. Elle avait l’air fatiguée, amaigrie, et je le lui ai fait remarquer.

“Tu sais toujours exactement quoi dire pour qu’une pauvre fille se sente toute spéciale,” me répond-elle comme pour se venger de mon propre sarcasme.

“Regarde, pourquoi ne viendrais-tu pas à la maison pour souper. Je vais te préparer quelque chose de spécial.” Un gars se fait pardonner comme il peut.

Et tout s’était très bien déroulé. Nous n’avions jamais autant ri, comme dans les belles années du collège lorsque nous avions découvert que nous serions les meilleurs amis du monde, amis pour la vie. Mais après quelques bouteilles de vin, les choses ont commencé à s’effilocher sur les bords. Tous ses gestes me rappelaient nos petits écarts, ses affronts passés, les miens aussi. C’était plus fort que moi. Je l’ai accusée de m’avoir trop souvent abandonné. Aussitôt que les mots sont sortis de ma bouche, je me suis rappelé avoir prononcé ces mêmes mots, exactement mot pour mot, la dernière fois qu’on s’était rencontrés, quelque chose comme deux ans auparavant. Le reste de la soirée, c’était moi qui se sentais mal à l’aise et elle qui se moquait. “OK d’abord, je vais me taper toute la vaisselle,” dit-elle en se levant de table, “pour me faire pardonner d’être une amie aussi nulle.”

***

Ses yeux avaient toujours la même profondeur, ce brun sans fond qui donnait le vertige. Elle semblait triste et confuse à propos de toutes ces choses, de cette rencontre qui s’avèrerait être la dernière. Ou c’était tout ce vin.

***

Ébaubi, voire sonné sous l’arche de la cuisine, “Paloma,” que je lui dis alors, “oublie mes sempiternelles lamentations, tu n’as vraiment pas besoin de te taper toute cette vaisselle, rien à te faire pardonner.”

Et c’est en lui disant cela tout haut que j’ai réalisé qu’elle n’était plus là.


Flying Bum

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