Salmigondis, qu’on dit?

Quelqu’un est en gueule pour tout un ragoût constitué de différentes viandes réchauffées? En d’autres termes un salmigondis. Ou encore un ramassis d’idées, de paroles ou d’écrits formant un tout disparate et incohérent, un fatras, un fouillis.

“…un sale lendemain de mardi-gras, où les convives lâchent de temps en temps quelques mots heureux à travers des bouffées d’ivresse.”  (Sainte-Beuve,Tabl. poés. fr.,1828, p. 276).

La sérigraphie beurre les doigts.

J’avais affiché cet avertissement sur la porte de l’atelier où j’ai enseigné l’art de la sérigraphie à des cégepiens d’une autre époque, histoire qu’ils sachent dans quoi ils s’embarquaient, surtout ceux en techniques comptables. J’ai beaucoup tâté des corps gras et des solvants volatiles, des encres et des pigments d’imprimerie ou de gravure de toutes techniques confondues. J’ai palpé le noir poudreux du fusain classique, les bruns roux de la sanguine, les nacrés gras du pastel crémeux, touché à l’écoline collante et à l’aquarelle coulante, la gouache bon marché et la peinture acrylique dite peinture à l’eau et un peu aussi de celle qui est bien plus difficile mais bien plus beau.

Aujourd’hui je me frotte davantage à l’écriture. Et c’est très salissant.

Sans tes mentales.

Si par malheur il vous arrivait comme cela m’est déjà arrivé dans le passé de sombrer dans la noirceur totale d’une dépression, de vous y complaire et de vous auto-flageller, méfiez-vous. Les choses pourraient aller mieux.

Les maladies mentales emportent rarement la totalité de l’esprit humain. Un vieil ami à moi qui soignait son affliction avec une prescription éternelle de Budweiser me disait tout le temps : “J’adore ma bi-polarité comme un fou, ça me fait chier au plus haut point.” 

Il était une fois un.

Le nombre 1 (un) est l’entier naturel représentant une entité seule, UN. Par rapport au vide immense du zéro. Dès qu’une chose entière se pointe c’est le UN. Et lorsqu’une chose se produit pour la unième fois, on dit que c’est une première, chose réalisée pour la première fois, l’acte initial, originel, le 1, UN. C’est la première notion qu’on devrait enseigner aux novices, placer le UN au chapitre UN de toutes les matières. UN. Tout ne commence-t-il par un do, un A ou un Un? Que moi pour mettre le UN en position trois d’un salmigondis. Mais on y revient à ce UN dans le texte suivant.

Lobe ici, lobe là et la jeune fille qui en avait un qui ne fonctionnait pas.

À une certaine période de ma vie, les heures que je pouvais allouer aux sorties de toutes sortes étaient cruellement limitées par la maladie de ma conjointe. J’ai toujours cuisiné donc j’ai toujours aimé faire les courses moi-même, ça vient avec. Dans le tumulte des jours, bien facile que de courir entre deux corvées au petit marché tout près, marché que les enfants appelaient affectueusement le i-ga (prononcé le “i” tout seul le “ga” tout d’une claque et non pas I-G-A). Mon ami Jean-Paul qui habitait chez moi et qui ne donnait pas sa place dans la cuisson des rognons trouvait l’endroit un peu rudimentaire en terme de choix et avec raison, mais bon. On n’y tenait pas de rognons frais, il l’avait sur le coeur. Une grande chaîne avait récemment ouvert un immense établissement un peu plus haut rue Sherbrooke. Je ne me souviens plus combien de pieds carrés mais disons que je n’aurais pas aimé y passer la moppe à la grandeur. Lorsqu’on regardait au bout des allées, les madames et leurs paniers avaient la taille des Playmobil. On n’ouvrait pas toute la nuit mais on pouvait s’y rendre aussi tôt que 7 heures le matin.

Grande première pour moi, un bon mardi matin, j’ai décidé de tromper mon petit i-ga de quartier et de m’y rendre. Une auxiliaire venait aux aurores trois fois la semaine pour aider au lever et faire la toilette matinale de ma conjointe. J’avais une heure. Dès qu’elle s’est présentée, je suis parti à la course vers ce nirvana du bon manger. Généralement à cette heure-là et un mardi de surcroît, je ne risquais pas la cohue. Effectivement, j’ai pu me garer à un saut de la porte. Il n’y a jamais de petites économies de temps pour les aidants naturels. On y pénétrait directement dans un grand département de choses fines, des charcuteries, pâtés, des fromages, des câpres des anchois et des olives, des millions de petits plats préparés de toutes sortes, des sauces maison. Tout ceci nous attendait dans un comptoir vitré à beaux cadres d’acier inoxydable d’une propreté absolue, aux vitres d’un verre exceptionnellement pur et clair sans aucune distorsion, les aliments disposés avec art et éclairés comme des vedettes d’Hollywood et la chose devait bien faire quinze-cent mètres de long. Tout dans ce département était impeccable et beau, flambant neuf, immense. J’étais fin seul et j’ai ressenti comme un vertige rien qu’à penser à tous ces ti-culs du quartier qui s’en allaient à l’école le ventre vide comme tous les matins.

Derrière ce comptoir sans fin, plusieurs blocs de bouchers, de longues tables en inox où s’étendaient la fine pointe des équipements de cuisine motorisés. Une série de balances scrupuleusement alignées occupaient un vaste espace dédié à la préparation des portions demandées et encore d’autres frigos fermés alignés sur le mur du fond où j’imaginais se dandiner de rouges carcasses au bout de leurs crochets. Sur une des aires de travail au fond complètement, une belle madame bien ronde dans un habit blanc de blanc et qui semblait avoir vu beaucoup de baloney dans sa vie était occupée vraisemblablement à enseigner à une novice de quinze-seize ans les rudiments du métier. Elles étaient seules dans tout cet univers. Il était à peine 7h30 faut dire. J’étais le seul client aussi. Une petite musique d’ascenseur lancinante essayait de cacher les quelques bruits de fond.

J’ai bien pris le temps d’examiner les vingt-deux mille pieds linéaires d’étalage avant de m’arrêter là où je soupçonnais se trouver l’aire de service et je me suis sagement planté là. Rien ne s’est vraiment passé après que je me sois immobilisé. Pour un bon moment en tous cas. Je ne suis pas du type à taper sur la cloche ou à tousser hypocritement mais je me cherchais tout de même une stratégie pour attirer l’attention de la bien-portante contremaîtresse et de son élève. Je regardais le comptoir sans fin et je me faisais des images du Coyote Ugly, comme dans le film, un bar de Dallas où j’étais allé et où les filles sautaient sur le comptoir occasionnellement et y faisaient des culbutes audacieuses. Ça aurait bien fonctionné, j’en étais certain. Le comptoir était spacieux mais bon, je n’avais pas fait de culbutes depuis des lunes et de toutes façons, les choses évoluaient. La grosse madame qui m’avait enfin vu avait les deux mains sur les épaules de la petite et elle lui prodiguait probablement quelqu’ultime conseil avant de me l’envoyer. Mon instinct me disait que la jeune fille vivait aussi une première ce matin-là. J’étais le client originel pour l’élève, son numéro un, c’est pas rien, le UN, et je sentais que je devais être à la hauteur. La jeune fille n’était pas prête de m’oublier, son “premier”.

Se retournant, la pauvre n’avait plus l’air de savoir où se mettre, tirait le bas de son tablier par petits coups nerveux, replaçait la résille sur sa tête en marchant vers moi comme un condamné s’approche de la potence. Et skouitch skouitch faisaient ses beaux souliers anti-dérapants flambant neufs, skouitch skouitch et bien d’autres skouitch skouitch encore. Elle finit par se rendre et s’immobiliser devant moi. Elle releva la tête au ralenti comme dans les films cucus, ses paupières se relevant à mesure et ses joues rosissaient à vue d’oeil. Quand nos yeux firent plein contact, j’ai cru un moment qu’elle serait emportée dans un choc vagal. Elle tira encore deux trois coups de ses deux mains les pans de son tablier, un p’tit coup la résille, son regard disparut d’un côté et de l’autre puis se ré-enligna directement dans le mien. Des mots étaient sur le point de sortir d’elle, je le sentais, ça s’en venait.

Au loin, la grosse madame regardait son élève, fière, son regard passant de la petite à moi à la petite à moi. Probablement que le regard de truite de la jeune fille cachait la lente révision qu’elle se jouait dans sa tête, se répétant toutes les consignes que la grosse madame lui avait patiemment enseignées, à ne jamais oublier, à performer dans l’ordre. Je me demande encore si elle avait entamé l’éducation de son élève avec le UN originel. Je voulais bien faire ma part dans l’éducation et la formation des jeunes travailleuses de l’alimentation mais je n’avais malheureusement pas toute la matinée à y consacrer.

Elle entama les grandes manoeuvres et cela m’a semblé si souffrant, pauvre fille, mais ses deux lèvres se sont finalement décollées et les mots sont venus, tout simples, d’une petite voix nasillarde agressante elle me demanda : “Avez-vous un numéro?”

La phrase est partie comme un trente sous au fond d’un puits profond comme si elle ne s’adressait pas à moi et j’ai entendu clairement comme un petit plouc au fin fond de mon cerveau. J’ai quand même pris la peine de bien vérifier à gauche, à droite. Toujours personne neuf mille mètres de chaque côté. Tous les autres doigts de ma main droite se sont ramassés en motton sous mon pouce sauf mon index qui s’est pointé machinalement vers le ciel et qui est allé se positionner en plein centre de mes deux yeux qui n’avaient plus d’expression. De chaque côté de l’index, ils mitraillaient secrètement la pauvre fille de gros mots comme idiote, tête heureuse et toute cette sorte de choses pas très belles. Oubliant totalement l’idée, niant l’utilité même de lui faire de l’esprit et reprenant les miens péniblement, je lui fis pour toute réponse :

“ Un, mademoiselle . . . UN ! ”

On repassera.

Pour le salmigondis, je veux dire. Je me suis un peu perdu un moment dans l’immensité du rayon des charcuteries. On se reprendra.

Flying Bum

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