De la futilité de l’autoflagellation

Le présent texte pourrait sembler manquer de substance et la raison en serait toute simple. Parce que j’ai complètement oublié mon sujet, c’est tout. Mais c’est rien en même temps.

Je n’ai aucun souvenir de l’idée de sujet sur lequel j’allais vous écrire. Je vous le jure vrai comme je suis là, j’avais un sujet, un sujet assez excitant pour me précipiter à mon ordinateur et croyez-moi je m’excite rarement moi-même à mes éclairs d’inspiration. On perd tous quelque chose ici, mais quoi? Je me suis assis bien confortablement devant l’écran et dès que mes doigts ont touché une frappe, pouf!, parti le sujet. Parti avec les petits bébés pas baptisés. Merde, j’en étais presqu’excité. Une triste perplexité m’envahit maintenant. Mais le chaud désir d’écrire subsiste et je vais devoir faire avec, me finir à la main.

Ce phénomène se produit quelquefois aussi en plein processus d’écriture. Je serais en train d’écrire, disons, en maîtrisant mon sujet parfaitement lorsque sournoisement les mots prennent une tangente, une shear comme disent les chinois. Comme si la locomotive qui tire mes idées avait échappé un ou deux wagons en chemin. Une autre partie de ma tête essaie de les retracer en vain dans le décor bucolique de mes rêveries étourdies mais mon oeil accroche inlassablement sur les vaches.

Et quand je me rappelle où était précisément le fil de mes pensées, avant l’incident amnésique, et que mon esprit me rappelle que je ne suivais plus du tout ce fil, un petit démon me souffle à l’oreille que le nouveau chemin offre de bien meilleures perspectives.

Suivez-moi bien, ce ne saurait être le cas aujourd’hui puisque j’ai perdu le fil avant même d’avoir placé un seul mot dans le texte.

Quand je perds le fil de choses qui n’ont même pas encore existé, j’ai tendance à adopter des comportements erratiques, adhérer à des théories encore inconnues du commun des mortels. Par exemple, l’effet démontré de la force centrifuge sur la concentration des idées vers le lobe frontal, je spinne sur ma chaise un certain temps pour aider. Ou jusqu’à ce que mes pieds frappent un obstacle, c’est selon. Ou comme si le contact de mes fesses sur la chaise était relié d’une façon ou d’une autre au processus créatif, me lever de ma chaise et faire trois-quatre pas en essayant de ne pas y penser, de croire que les idées fuient parfois dans l’estomac et actionner sournoisement la manette de la chaise pour la faire chuter précipitamment en espérant que l’inertie les prenne par surprise, les fasse remonter dans le cerveau. Comme un macchabée referait surface du fond d’un lac quand les gaz internes auront eu le temps de gonfler le cadavre (j’ai appris ça dans CSI, c’est cool, avouez).

Je crois aux vertus de la gymnastique littéraire qui consiste à écrire pour écrire, en commando, et autres formes d’exercices ad libidum sans fondements réels ni raisons précises (autres que de faire le smart qui a quelque chose d’éminemment important à contribuer à l’humanité) parce que ça garde le moteur créatif en mode ronron en attendant que la vraie course commence. Les musiciens le font, jouer sans partition. Ils appellent ça jammer. Moi je fais cela quand je suis jammé moi-même.

Ces textes ne seront probablement pas de ceux qui précipiteront dans l’extase des millions de lecteurs, ni même des milliers, ni même une quantité inventoriée sur les doigts d’une seule main, peut-être la famille et encore par compassion, c’est souvent dans ces circonstances singulières qu’on découvre nos vrais amis. Et la faiblesse de ces mots décrit des grandes parties de moi-même, est cruciale à la pleine réalisation de mon expérience épistolaire.

Uniquement parce qu’une journée donnée on ne peut accomplir des choses aussi simples que de se rappeler de quoi on voulait parler au départ n’a pas vraiment toute l’importance qu’on pourrait accorder à la chose. Si le sujet était si puissant en partant, on sera toujours capable d’y revenir demain, ou une autre journée. Ou peut-être ne serai-je jamais capable d’y revenir ou peut-être vais-je décider carrément de l’oublier et de passer à un autre sujet, de trouver quelque chose de rigolo à faire et vous ne saurez jamais de quoi je voulais vous parler en partant. Il n’y a pas de quoi fouetter un chat dans tous les cas. Merde le sujet, merde la mémoire, merde le texte, merde le lecteur un coup parti, il a beau s’en écrire des best-sellers si ça le désennuie les nuances de gris.

La futilité de l’autoflagellation n’a jamais été aussi évidente. Pour moi, du moins.

Il ne devrait pas y avoir de lois contre les niaiseries qu’on aurait le droit ou pas le droit d’écrire et qui font de nous les humains que nous sommes, tout aussi niaiseux que nous déciderions de l’être délibérément, et surtout pas d’amende à payer si nous le faisions quand même envers et contre tous. Il y a toujours des insignifiants pour écrire des règles insignifiantes pour le plus grand bien de la collectivité, ou à son détriment, ou les deux (ou parce qu’un insignifiant s’est offusqué d’une niaiserie un jour et s’est mis à crier “Il devrait y avoir une loi contre ça”) et nous n’y pouvons plus rien collectivement ensuite, qu’importe où va notre vote.

Le remords, les doigts qu’on s’enfoncerait volontairement dans les yeux pour se faire brailler, là sont des choses que l’on peut contrôler à notre guise. Nous serons le dieu (petit d) de nos propres regrets, qu’on nous laisse niaiser en paix alors.

Chacun des brins d’herbe de mon parterre se fout éperdument de ce qu’on attend de lui dans les savantes prévisions imprimées derrière les sacs de fertilisant à gazon, il pousse à son gré (ou il tire si on se place dans la perspective d’un ver blanc qui observe de sous la surface). Chaque ver blanc sous la surface, lui, creuse ses tunnels non pas pour remporter le Pulitzer ou autre Métrostar mais bien pour se donner des options, pour le simple plaisir de se dégourdir les anneaux, se donner des places à aller si le museau d’une mouffette se pointe, ou pour faire de la place pour la visite qui s’en vient samedi, c’est selon.

On écrit, on crée, on apprend, on oublie, on se rappelle ou on ne se rappelle plus et on ré-essaiera demain, pas plus grave. Les réponses aux grandes questions de l’humanité ne reposent pas sur le fait de se rappeler ce que l’on voulait écrire au début ou de réaliser que nous ne sommes que des brins d’herbes ou des vers blancs (parce que c’eût été carrément une chose stupide à s’imaginer pour des êtres qui je vous le rappelle ont un pouce opposé) mais repose sur le fait qu’en dehors de l’homme contrit, qu’il écrive ou non, vous ne trouverez pas beaucoup de créatures vivantes sur cette terre qui pratiquent l’autoflagellation pour le seul plaisir de se fouetter elles-mêmes. Non?

Alors à propos du sujet de ma chronique d’aujourd’hui, je vous reviens dès que ça me revient.

 

Flying Bum

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2 réflexions sur “De la futilité de l’autoflagellation

  1. Pas pire texte pareil pour ton syndrome de la page blanche ! T’as encore piqué ma curiosité; déjà hâte que tu retrouves ton fil pour savoir c’était quoi le sujet de ta chronique ! 😉

    Aimé par 1 personne

  2. Je crois, moi aussi, aux vertus – magiques – de la gymnastique littéraire qui consiste à écrire pour écrire… et ce texte en est bien la preuve que ça peut être miraculeux. Tout art qui relève de la création pure (instinctive presque) m’a toujours parue essentielle. Rilke répondait à ceux qui lui écrivaient pour lui demander comment devenir des poètes, que si, lorsqu’ils se réveillaient le matin, ils ressentaient l’envie irrépressible d’écrire de la poésie, c’est qu’alors, ils étaient poètes… (voilà qui est dit).

    Bien la bonne journée chez vous.

    Aimé par 1 personne

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