L’ennemi écoute

Ne vous fiez jamais aux apparences, ne vous l’a-t-on pas assez répété? Prenez-moi, par exemple (à ne pas confondre avec par derrière). Sous des allures un peu bourrues, vaguement bohème, vieux hippie soixantenaire trop émotif, sachez que pendant toutes ces années j’ai été un agent secret spécialisé dans les services d’infiltration des zones d’activité humaine. Ma mission, accumuler toute l’information possible à propos de l’intelligence humaine, au service du ROHUM abréviation de Renseignements d’Origine HUMaine. Activité qui comporte son lot de situations extrêmement risquées et d’embûches de toutes natures dont la possibilité de traverser de longues périodes pendant lesquelles aucune évidence d’activité intelligente ne se présente.

Le renseignement humain se tire d’individus et se distingue ainsi du renseignement technique (renseignement d’origine électromagnétique, renseignement d’origine image), et du renseignement d’origine source ouverte. La théorisation du mode de recrutement et de traitement d’une source humaine, aussi appelée agent, a conduit à identifier quatre « leviers » dits MICE pour l’argent (Money), l’idéologie (Ideology) : convictions religieuses, politiques, etc., la coercition (Coercion) : chantage, menaces, torture, etc., l’Ego : vanité, désir de se mettre en avant. D’autres listes de leviers existent, beaucoup moins connues, comme celle dite SANSOUCIS : solitude, argent, nouveauté, sexe, orgueil, utilité, contrainte, idéologie, suffisance (Gérard Desmaretz, Le renseignement humain).

« Il y a deux façons stupides d’essayer d’obtenir du renseignement : c’est la torture et l’argent. La torture, le type vous dit tout pour que ça s’arrête, et l’argent, il vous dit tout pour que ça continue ! » – Alain Chouet

Même si mes sources sont généralement des gens biens et fort sympathiques, je ne peux absolument jamais baisser la garde dans cette grande quête d’infos, le métier reste truffé de risques. Au fil de ma longue carrière d’espionnage, j’ai dû porter différents costumes, tous subtils, qui m’ont été inspirés des as du métier dont une djellaba aux jolis motifs de paysley dans les tons de bleu-vert que m’avait fabriquée une ancienne flamme. On m’a notamment vu déambuler incognito dans le Vieux-Montréal en sandales à gros orteil afghanes portant la tunique indienne à la cheville, en lin naturel, rien en-dessous, ornée de volutes de billes de bois, sur la tête un système capillaire exacerbé. J’ai occupé momentanément le derrière d’une vache en peluche, opérée à deux, et j’ai même poussé l’audace jusqu’à revêtir le complet trois pièces en astral bleu, allumé de beaux reflets métalliques comme une mouche à marde. Vous seriez surpris de voir à quel point le port d’une perruque rousse et d’une robe fleurie peut délier les langues les plus sèches surtout si vous portez simultanément un goatie bien gris et le reste de la face mal rasé.

Parmi les méthodes d’interrogation subversive que j’ai eu le bonheur de peaufiner, notons la méthode dite de l’idiot de la pire espèce que j’ai pu pousser au niveau de l’art. Technique secrète que je vous révélerai tout de même. Les gens perdent leur méfiance en présence d’un idiot, c’est bien connu. N’hésitez pas à infiltrer les milieux universitaires ou les groupuscules d’intellectuels de gauche même si vous n’avez qu’une onzième année, soyez même volubile et ouvert à ce propos. Ils s’imaginent alors que vous ne pourriez rien comprendre à quelque déclaration que ce soit, surtout les trucs intelligents. Et le matériel sort, à profusion. Chanceux si vous avez une assez bonne mémoire pour retenir tout ça avant de vous éclipser discrètement à la salle de bain, transcrire toute cette matière à l’encre indélibile sur du papier-cul, en faire des boules que vous pourrez avaler facilement et plus tard récupérer tranquillement chez vous. C’est qui le plus stupide, finalement? Avouez!

La collecte de renseignements humains peut sembler une tâche facile au commun des mortels comme vous mais nous, les bonzes de l’espionnage intelligent, savons très bien qu’on ne peut aucunement se fier à tous les bidules hi-tech à notre disposition maintenant. Téléphones cellulaires, comptes courriels, messageries électroniques et réseaux sociaux peuvent facilement être hackés et scannés avec la plus grande facilité. C’est pourquoi nous sommes depuis belle lurette retournés aux bonnes vieilles méthodes de la guerre froide. Porter une fleur particulière à un endroit spécifique de notre complet et tenir des rendez-vous sur des bancs de parc, c’est toujours bon. Mais rien de mieux pour passer de l’info que le bon vieux largage inopiné. Je ne compte plus les messages codés insérés dans un vieux journal savamment replié que j’ai échappés nonchalamment les bons soirs dans le bac de recyclage (avec un bout de gaffer-tape collé sur un coin du bac pour indiquer à mes supérieurs que le message y était). Méthode sans failles, le lendemain matin, le bac est vide à tout coup.

Je vous dis cela, je ne vous dis rien. Je sais que tout cela va rester entre nous, votre sécurité en dépend. Je n’ai jamais rien dit, rien mis sur mon blogue, je n’étais même pas là ni même proche de là quand je l’ai écrit. Si, tout de même, vous aviez quelqu’information intelligente à me signaler, vous savez comment me contacter . . . ma cachette habituelle.

Je serai cette toute petite madame à la chevelure rousse portant un goatie gris, une fleur de zucchini sur le côté coeur d’une robe fleurie, un vieux publi-sac sous le bras (avec un bout de gaffer-tape dessus).

Au plaisir,

Mub gniylF 009

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2 réflexions sur “L’ennemi écoute

  1. Pour l’information ou la malformation intelligente, je suis un puits sans fond. Et je peux faire passer cette information sans qu’il n’y paraisse, la preuve, certains même presque tous, l’ignorent. Je lis, je ne lis pas, comprend qui peut sauf qui. une l

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