Olivette, la charmante bag lady qui vit dans ma tête est en plein ménage du printemps ces jours-ci. (lire: Olivette et moi ) Peu de gens ont l’immense bonheur de connaître intimement une bag lady, savoir ce que contiennent tous ces sacs qu’elle transporte partout où elle va. On soupçonne bien de la guenille ou des collections échevelées de choses toutes plus inutiles qu’insolites et qui ne sentent probablement pas très bon. Olivette, elle, toute confinée dans mes songes, ramasse systématiquement des choses que j’ai laissées derrière moi au fil du temps. Bien des choses échappées ou qui m’échappent toujours, des bouts de vie à oublier, les projets avortés et ceux jamais entrepris, des gestes regrettables ou de folles ambitions qui ont fini à la cour à scrap des bonnes idées, pas si bonnes que ça finalement. Une bonne bag lady ne jette jamais rien dans le puits profond de l’oubli, on ne sait jamais. Elle conserve, elle trie, elle classe, elle regroupe pour mieux s’y retrouver et finit par finir ensevelie sous les sacs. On reconnaît les plus vieilles à la grosseur du tas.
Toutes les fois qu’elle entreprend son ménage, Olivette ne fait que rebrasser tout ça, vider un sac au hasard, s’exciter sur son contenu un moment et inévitablement elle replace tout ça dans le sac à la fin, proprement. Elle fait cela pour moi, qu’elle dit. Moi j’ai tendance à tout jeter, le bébé avec l’eau du bain, brûler les ponts, tourner le dos à mes démons et rincer les mauvais bouts de l’histoire à la grande eau, à mesure que les nouveaux espoirs embarquent. Elle garde tout, la torrieuse.
“Viens voir celui-là, tu vas capoter”, me lance-t-elle, un jour que je regardais tranquillement passer le néant en silence, seul dans mon observatoire à songes (mon abri-balançoire anti-maringouins).
“Arrête, Olivette, tu vas me rendre complètement fou si tu ressors tout ça, tu le sais, tu vas m’arracher le coeur.” Je l’en implorais en sachant très bien que je gaspillais de la belle salive. “Non, non, celui-là tu vas tripper tu vas voir, c’est une foutue de bonne idée, elle est même pas démodée un peu, ça vaut la peine de ressortir ça!” Et déjà, elle sortait une à une toutes les pièces à conviction du sac.
“Regarde si c’est beau ce petit bibelot-là!”, en sortant le premier morceau du sac. Et tout de suite mon esprit a reconnecté. “T’es folle, Olivette, je ne pourrai jamais finir cette histoire-là, on en a parlé souvent pourtant.” Mais Olivette est tache quand elle veut. Elle sortait encore deux vieilles photos du sac. “Regarde s’ils sont beaux, tu m’avais promis que quand tu aurais une belle grande barbe blanche naturelle et la face toute plissée comme eux, tu t’en achèterais un orgue de même et même un beau petit singe que tu habillerais en bell-boy et que tu lui montrerais à passer la tasse.”
Ceux qui m’ont connu du temps où je travaillais pour les italiens s’en rappellent encore. Bien des années après cette mémorable époque, aux funérailles de mon ami Michel, le patron de la boîte, les gens me disaient encore en plantant leur coude amical dans mes poignées d’amour: “Belle barbe, mon Luc, ça s’en vient, là!” disaient-ils en mimant de tourner de la main la manivelle d’un orgue de Barbarie imaginaire et en chantonnant le petit air de cirque bien connu.
Des gens sympathiques mais leur esprit pouvait rarement se rendre sur ces terrains-là, je leur faisais entrevoir les verts pâturages d’une douce folie enfin permise. Je leur ai tellement cassé les nénettes avec ça, plusieurs sont encore convaincus que je vais le faire pour de vrai. Convaincus comme Olivette.
Bébé-boumeur de la dernière cuvée, je n’ai pas connu la grâce d’une grosse job steady avec la pension blindée à la fin de mes jours, j’ai toujours bossé dans de bien petites et moyennes entreprises, j’ai souvent piloté mes propres gamiques à bout de bras. Mon plan de pension se compose essentiellement de quelques rares opportunités d’en coller icitte et là, d’une vieille canne de tabac Sweet Caporal pleine de pensées magiques, un manuel de simplicité volontaire et je ne manque jamais l’occasion de payer au bon gouvernement ma part de l’impôt sur le rêve, surtout quand le gros lot s’annonce gros. J’ai toujours su que je devrais gagner ma croûte jusqu’à mon dernier souffle, alors j’avais pensé à cette petite combine.
Une belle petite job d’été habillé comme Leon Russel en haut-de-forme, à tourner la manivelle de mon orgue pendant que mon petit singe soutirerait le pognon à un public fasciné et attendri par la petite bête aux allures humaines, intrigué par le vieux fou aux allures d’un steampunk extra-terrestre et bercé par des airs d’un autre espace-temps. J’avais déjà choisi mon coin de rue, en avant du Simpson’s sur Sainte-Catherine, ça ne date pas d’hier.
Dans le fin fond du sac, des publicités de fabricants ou des restaurateurs d’orgues de Barbarie, tous en Europe. Des listes de titres de musique disponible en papiers perforés, des noms d’éleveurs de singes capucins, des instructions pour les dompter, des images de beaux costumes, des esquisses d’idées pour décorer mon orgue au pinceau. J’étais sérieux. Très sérieux.
“Tu avais même gardé le toutou pour habiller le singe avec son linge un coup mal pris. Regarde ça, on lui ferait faire n’importe quoi au singe pour les voir heureux, les petits enfants, viens pas me dire que tu ne ferais pas un malheur dans le Vieux-Port avec ça.”
Elle me lançait son argumentaire tout d’une traite en me regardant de ses grands yeux d’escroc suppliant, crasse au possible. Alors j’ai fait un petit effort, pour Olivette. Première chose à vérifier, est-ce que la ville voudrait, aujourd’hui tout est tellement réglementé. Je n’ose même pas scruter le terrain glissant de la vile exploitation animale, j’entends déjà les Bardot et les véganes bourgeonner d’angoisse pour un singe. On verra pour la rectitude animale. D’abord la ville.
Vraie réponse à un vrai courriel envoyé à la ville de Montréal:
Je vous épargne le formulaire joint en annexe du courriel. Une chatte n’y retrouverait pas ses petits. Je me vois courir d’un bureau à l’autre pour venir à bout d’avoir un permis. Bref, je devrais, si j’ai bien compris, revenir vivre en ville ou me squatter une fausse adresse au pire, la permission ne s’applique qu’aux résidents. On va dire que j’habite chez mon fils. Avoir encore un permis de conduire valide. Mais je dois m’inscrire à une association quelconque, j’en suis donc à des frais annuels que je pourrais estimer à 250.00$. On additionne ce que la ville demande soit 160.00$ en inscription et 58.00$ en frais non récurrents et encore en parcomètre dans le Vieux-Port pour une centaine de jours de travail à 30.00$ par jour, ça fait bien 3,000.00$, non? Les orgues s’envolent actuellement pour la modique somme de 6 à 7,000 euros ce qui donne au tarif du jour entre 9 et 11,000.00$ canadiens sans compter le transport et la douane 500.00$. Une dizaine de tounes sur papier perforé pour varier un peu, dix fois 100.00$, un autre mille. Le singe, sa garde-robe, son éleveur et son vétérinaire pour un an, un autre 5,000.00$ minimum. Finalement pour une première année d’activité, le projet s’élève à pas loin de 25,000.00$. Je vois ma conseillère financière Desjardins tourner de l’oeil et chercher ses sels. Sur 100 jours, s’il fait beau pendant 80 jours, le singe devra amasser 325.00$ par jour juste pour couvrir les frais, un autre 315.00$ pour créer un revenu annuel de 25,000.00$ soit un total de 640.00$, 20 tasses pleines de pièces de 1.00$ à ras bord. Sur une prestation continue de 6 heures, les huards devront tomber au rythme soutenu de 2 à la minute. On va tuer le singe à ce rythme-là, c’est clair.
Si j’ai bien calculé, je réalise avec stupeur l’ampleur de mon drame. Je n’ai même pas les moyens de devenir un quêteux, si céleste et génial soit-il.
Olivette me regarde la face longue, on voit qu’elle est affectée. “On gardes-tu les nouveaux papiers quand même?” me demande-t-elle babouneuse en commençant tranquillement à tout remettre dans le sac. Je voyais que la pauvre Olivette avait un sérieux motton, sa petite lèvre d’en bas vibrait étrangement et ses paupières battaient plus que de coutume. “Je te l’avais dit, Olivette, que ce n’était pas une bonne idée de ressortir tout ça, on a fini par s’arracher le coeur tous les deux encore, tu vois.” Mais mes paroles pour la consoler n’y firent que dalle.
“T’es rien qu’un si pis un ça, Luc St-Pierre. Ça te sert à quoi de pondre tous ces beaux plans de nègre là et que moi je te les garde avec amour dans mes sacs si c’est pour jamais se faire? J’aurais capoté raide de voir aller le singe, de voir rire les petits enfants. Tu me fais chier si tu veux savoir la vérité, tu me fais royalement chier, chier mou, câlice, chier qui pue que l’christ du st-ciboire!” en échappant une larme ou deux, marmonnait-elle comme si elle ne voulait pas que j’entende.
Olivette a toujours de la difficulté avec la belle grammaire quand elle est triste et contrariée.
“Moi aussi je t’aime, Olivette.”
Flying Bum
“Inutile de discuter avec le singe si le tourneur d’orgue est dans la pièce.” – Sir Winston Churchill
Dans le sac il y avait au moins un sourire. Il y en a sans doute d’autres en attente de sortie.
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Des sacs, elle en a des piles en réserve. Certains qui ont des contenus surprenants, d’autres qui gagneraient à rester fermés dans le fond de la pile. Stay tuner comme disent les chinois.
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