Intumescence – origine inconnue

Ce son cristallisé, c’est une douleur. A fuck’n pain in the ass, diraient les chinois. Comme des coups de poignard, à travers le casque d’écoute que la jeune technicienne porte sur ses cheveux vert fluo, des coups qui viennent blesser la douce musique de la radio FM qui s’en échappe, seule et douce musique d’un dimanche soir que Léon perçoit à peine. Léon se focalise au maximum et essaie de savourer chaque note mais ce son cristallisé du vieil appareil de résonance magnétique, c’est une douleur qui vient assassiner chaque accord de guitare.
Léon vendrait son cul pas cher pour le seul bonheur d’aller pisser. Pense pas à ton envie de pisser, Léon. Pense à la neige. Comme tu le faisais tantôt en écoutant cet air de Noël. Sur un fond de sapins verts, ce ruisseau immobile aux pierres arrondies couvertes de glace noire et les grèves en rondeurs de neige blanche. Non, c’est de l’eau plutôt, pas de la glace noire. De l’eau qui coule en chantant. Et tu ne peux fuck’n pas aller pisser, pauvre Léon. Impossible. Calvaire d’envie de pisser.

Le scanner te griche des dents de métal énormes dans les oreilles.

Pense aux grands magasins, leurs étalages de jouets géants et toutes les belles décorations brillantes. On distribue des cannes de Noël, on fait goûter des échantillons de chocolat chaud. C’est comme si tu marchais dans une de ces cartes de Noël dont les personnes âgées raffolent, qu’elles s’envoient les unes aux autres tout attendries. Qu’est-ce que tu pourrais bien t’acheter? Un beau foulard de soie blanche. Des manchons de renard. Des truffes au champagne emballées dans des beaux cornets en cellophane craquant translucide et probablement dix piastres trop cher.

On vous sort un moment pour reprendre le contraste, s’ra pas long.

La voix de la jeune technicienne sonne comme un cri d’insecte métallique dans le vieux microphone devant elle, presqu’aussi gros que son visage encore adolescent.

Léon garde les yeux fermés pour le peu de temps qu’il restera sorti du tube. Il est comme un animal traqué. S’il fallait qu’il voie la cage de plexiglass qu’ils ont installée alentour de sa tête pour la garder immobile, il se gratterait au sang, d’angoisse. Celle qu’il imaginait être l’assistante est en fait la neurologue de fin de semaine. Incroyable, une enfant. Elle lui injecte un liquide colorant et retourne se cacher dans son abri après avoir repoussé Léon comme un cadavre dans un tiroir de morgue. Léon serre ses coudes contre lui pour ne pas écorcher sa peau nue sur les parois de la machine.

Le prochain scan durera un peu plus de 5 minutes.

Léon est frappé par la violence de la voix dans le microphone en contraste flagrant avec sa petite voix naturelle toute douce. Le cri grésillant de l’insecte n’a rien à voir avec la voix humaine. Crépitements et cris étouffés comme dans un concert heavy metal à deux pouces de ses oreilles. Tout cela est-il pré-enregistré, se demande Léon. Une si petite femme peut-elle-même créer des sons pareils avec sa bouche?

Où en était-on, déjà? Grand magasin à rayons. Une fois, Léon a vu un gâteau dans la vitrine du Eaton’s, huit pieds de haut. Une tour garnie de fruits, d’anges sculptés dans le chocolat blanc et décorés avec des encres et de la feuille d’or comestibles. Imaginez un gâteau pareil en plein milieu d’un grand bal du nouvel an. Des gens masqués qui dansent recouverts de paillettes, qui passent, s’en prennent une tranche qu’ils ne finiront même pas. Champagnettes, prosecco, astis, gerbes d’orchidées immenses. Un orchestre de swing au grand complet.

Comment est-ce que l’appareil de résonance peut-il bien faire pour transporter complètement l’esprit de Léon au diable Vauvert? Il porte un pantalon de serge et un chandail d’alpaga sans manche sur une chemise en soie, des chaussures en cuir de chevreau et des gants de dandy qui ont déjà appartenu à son père. Il ne fête jamais le nouvel an. Se peut-il que le bruit et les grondements du long tube viennent à bout de tout de ressusciter le tissu cicatriciel qu’il a patiemment accumulé pendant tous ces traitements?

Le prochain scan durera à peu près deux minutes.

Le son, c’est comme des étoiles qui meurent. Des éclairs de lumière comme des pics derrière ses paupières fermées bien serrées.

Puis, un doux silence. Un petit jet d’air frais sur son visage. Encore une seconde ou deux et on le tirera de là comme on ouvre un tube de rouge à lèvres.

Mais rien ne se passe vraiment.

Vous écoutez “Haven’t got time for the pain” de Carly Simon sur Smooth FM. Fuck, Carly Simon!

Calme-toi, Léon. Les orteils de Léon s’agitent comme des moignons de doigts qui essaieraient de jouer du piano. Pianissimo, Léon. On se calme. Et tu ne peux fuck’n pas aller pisser, pauvre Léon, pas encore.

Il se souvient qu’il y avait des gens pourtant. D’autres salles d’examen chaque côté d’un corridor, un plancher en linoléum, un lobby, le monde dehors, à l’extérieur. Tout le monde. Mais tout ce qui existe maintenant c’est un long cylindre blanc qui contient son corps. Son corps qu’il ne peut même pas voir parce que s’il ouvre ses yeux, tout ce qu’il verra c’est une cage en plexiglass qui enferme sa tête. Comme une cervelle dans un bocal. Comment a-t-on pu l’oublier là?

Arrête de penser à toutes ces niaiseries-là, Léon. Une neurologue ça ne se perd pas de même, quelqu’un doit l’attendre quelque part. La chercher. Elle va revenir.

Elle essaie péniblement d’ouvrir un seul œil, attraper la poire pour sonner l’alarme. Sa main paralysée se colle au caoutchouc de la poire par la sueur. On ne voit plus qu’une tache vert fluo immobile derrière la fenêtre en verre trempé épais. La technicienne devrait passer bientôt s’en occuper.

Avec tout ce boucan, pas surprenant, la machine est déréglée, déglinguée. Les rayons nucléaires fuient. La jeune neurologue est frappée, sinon l’usure achève son œuvre de mort sur elle.

Quand la neurologue l’avait examiné plus tôt, Léon croyait l’avoir vue s’enfoncer quelque peu à travers le plancher. Ses pupilles s’étaient dilatées, une vision trouble mais tranquille. On aurait pu la laisser dans une stase pareille pour toujours. Un serpent en transe. Soma. Une mère qui dort n’importe où, dans ses sueurs, épuisée.

Trop freudien tout ça. Imaginer son médecin traitant, dans la peau d’une mère, l’espace d’une minute, la folie pure. C’est pour cette raison que Léon aimait sa neurologue. La vraie, pas la gamine qui tenait le fort les week-ends. Mais que se passe-t-il lorsque le médecin traitant devient plus jeune que vous. Beaucoup plus jeune. La belle transe se fait-elle catalepsie éternelle? Comment oser poser la question à sa neurologue? Pourquoi la radio ne joue-t-elle pas la réponse du méridien sensoriel autonome de son cervelet, au lieu de Carly Simon?

Sa vessie capitule lentement comme une mort lente. Où est la tabarnak d’assistante? Où est tout le monde? Où est passé tout le reste de toutes ces choses et tous ces gens?

Le patin à glace. Le patinage. Un lent mouvement vers l’avant monté sur deux minces lames d’acier. Des lames qui poussent une fine peau d’eau à la surface de la glace molle et la peau meurt aussitôt que le mouvement s’arrête. Gelée à nouveau. Des boules géantes, rouges, vertes, dorées. Une statue de cuivre verdi au centre d’une fontaine d’eau qui gicle et qui gicle. Et tu ne peux toujours pas aller pisser, pauvre Léon. Des mitaines tricotées à la main, des tuques. La mère de Léon est celle avec le beau foulard de soie blanche, le manchon en renard, ce n’est pas toi, Léon, c’est elle. Il ne peut pas attraper sa main parce qu’elle file plus rapidement que lui comme si elle volait sur la glace. Une brume. Léon patine tout le tour du lac gelé. Après ils iront ensemble faire des emplettes de Noël dans les magasins de bonbon qui exposent en vitrine des jujubes aigres et acides gros comme des bergers allemands et des bâtons de menthe géants en styromousse. Léon pense qu’il est mort depuis des années lui aussi. Que la chose a toujours été là. Engourdie.

Il y a quelque chose d’extrêmement pur dans le chagrin de la mort. On l’enterre lentement, avec le temps, en sédiments, une strate après l’autre, une par-dessus l’autre. Vous pouvez empiler des gravats dessus si vous le voulez, de la terre noire, tiens. Aussi épais que ça vous tente. Alors il resurgira tout de même, regagnera la surface, sans prévenir, après dix, vingt, trente ans, intact. Aucunement dilué, tiède presque froid.

Les coulisses de sueur descendent du cou sur les épaules de Léon et se réchauffent en chemin.

Pourquoi la mort le préoccupe-t-il tant que ça. La mort arrive. C’est tout. Tout ce que l’on peut faire pour l’éloigner, la drogue, les montagnes russes et tous ces nouveaux manèges terrifiants, devenir un jour célèbre, se faire refaire le visage, les greffes de cheveux, pratiquer abondamment le sexe libre, fonder une secte, sauter en bas des falaises dans une mer bouillante. S’y couvrir la tête de sombres algues mortes puantes.

Sous un roc humide, un sarcophage. Le corps d’un ancien dieu oublié. Des pièces de monnaies vertes rouillées déposées sur l’orbite de ses yeux pourris. Des balanes plein des bocaux de formol. Des urnes usées vidées depuis longtemps de leur jadis précieuses huiles. Les paroles de sa chanson tracées dans le sol sous lui, jamais plus chantée. Écrite dans une langue plus morte encore que le latin.

Léon ne peut pas s’essuyer les yeux, les larmes en séchant ne laissent que du sel sur ses joues. Le long tube blanc souffle sur lui une marée d’air froid comme un vent de novembre.

Sous l’eau, cherchant la surface, à demi-étouffé, à demi-noyé, aveugle et froid. Puis il respire à nouveau. La buée de son souffle paniqué disparaît lentement du plexiglass du masque qu’on lui retire.

Oh my god, jeune fille, oh my god, t’étais passée où tout ce temps-là?

La lumière le fait grimacer et il tremble. Quelqu’un le prend par les coudes. Derrière le mur, les paramédics hissent la pauvre jeune femme sur une civière. Son visage a pris la teinte verdâtre de ses cheveux hirsutes.

Léon debout, recule. Sur ses joues craque le sel de ses larmes et sa jaquette bleue est gorgée de sa propre urine. Calvaire d’envie de pisser. Quelqu’un l’assoit sur une chaise roulante, ses vêtements déposés sans façon sur ses cuisses trempées de pisse et l’enveloppe dans quelque chose d’épais, de chaud. Léon n’entend rien. Puis il se rappelle et retire les bouchons d’oreille qu’on lui avait installés là.

Un goût étrange envahit sa gorge. La chaise est abandonnée là dans le chaos de la mort imminente. Léon dedans. La cigarette, cela devait bien faire vingt ans qu’il ne fumait plus. J’ai besoin d’une cigarette, dit Léon sans y croire, peut-être pas assez fort, personne ne lui répond.

Alors Léon pousse sur les roues de la chaise dans les couloirs où la forte odeur de pisse lui ouvre le chemin entre les regards fuyants et les grimaces de dédain, il traverse la salle d’urgence, se pousse jusqu’aux portes coulissantes, se lève, ses fringues et la couverture tombent au sol devant lui, il marche dessus comme si elles n’existaient pas.

Jaquette au vent, pieds nus les fesses à l’air, Léon marche lentement dans le stationnement sans se retourner.

Personne n’arrête Léon.

Il neige.


New_pieds_ailés_pitonVert

Flying Bum

Déjà l’ancêtre

Être que le temps sèvre
achèvera et mettra en bière
quelque part où cette terre
rencontrera nos lèvres

Nos gorges seront le refuge
de langages oubliés parfois
d’un déluge de transfuges
piètre aloi et quant à soi

Nos mains ne se frôlent qu’à peine
sous la lumière vacillante
d’une lampe mourante
la flamme en vain s’y démène

Se rappeler à toi, à moi
se soufflant sur les joues
de bien tristes alhamdilillah
quelques bons vieux tidilidam-tidilidou

Soufflées au cou d’un bouleau
à genoux nos prières adressées
prieront à leur tour pour nous idiots
dans le vent d’un novembre gelé

Toute trace de chaque pas
sur la terre de nos mères
sera la même invocation
à bas désespérance à bas

Nos pieds seront les saints
nos yeux les seuls témoins
pour celui qui aura espéré en vain
retrouver tous les siens

Nous aimons déjà tout ce qui fût
perdu avant qu’on ne le perde
nos oreilles auront tout entendu
les sous-merdes des claque-merdes

Que nous restera-t-il à apporter
en gage sur vos tables de repus
que vous n’ayez déjà au long mâché
sucé pompé le dernier du dernier jus

Nous sommes déjà les falaises
des fantômes qui dominent la mer
nos vrilles déjà accrochées balèzes
aux pics de roc dressés contre l’éphémère

Ce qui nous aura rendu ivres
forcé à continuer d’écouter
un monde à même nos cœurs façonné
mais incapables d’y survivre

Comme la femme venue avant nous
nous aurons su allaiter tout comme elle
envers et contre tous nos courroux
une terre durcie repoussera nos mamelles

Nous gémirons en réclamant au ciel
une récompense inutile et triste
au nom des damoiseaux demoiselles
qui nous égarent derrière leur piste

Nous leur crierons toute la joie
l’espérance à très petites doses
rien d’autre à nous-mêmes ici bas
et des mots sur toutes ces choses

amour

mère, père

frère, soeur

fils

filles

étoiles

vétilles

poussière.


Flying Bum

New_pieds_ailés_pitonVert

L’heure leurre

je ferme la fenêtre le clair le bruit
mon double une ombre transpire
se tait transi et traîne-misère

ce qui n’appartenait qu’à la nuit
ramène encore toujours le pire
jamais ne s’accroche à l’hier

le matin se fait bleu sombre
impossible d’y échapper
agenouillement servile et forcé

encore la puissance des ombres
que la langue du matin vient lécher
si prégnante que l’âme ne sait que brûler


Flying Bum

New_pieds_ailés_pitonVert

Chacun son café

Pointes de plume
cafés de brume
calepins noircis
tranches de vie
et verre de whisky

Le clavier ivre
s pour survivre
barre espace
souffle et passe
i pour immonde
m comme monde

Voir venir le mot
ébaubi et sot
sorti de nulle part
c pour cauchemar
chercher le suivant
i comme ignorant

Au bout de la plage
deux enfants sages
une mère en beauté
une mer si bleutée
une grue qui piaffe
fientes et paragraphe
la dame s’indigne
point à la ligne

Le doigt se retient
plus rien ne vient
une mère noyée
un café déserté
l’horizon triste barre
le génie qui s’endort
et quoi encore

Sur le clavier
pavé double v
wagon déraillé
retour et pavé p
p p p désespéré

Sous les pavés
pauvre cliché
poète et barbu
que cherches-tu

Qu’y trouveras-tu
amer et déçu
poussière et vil gravier
et jamais rien de plus


Flying Bum

New_pieds_ailés_pitonVert

Image en en-tête extraite de la couverture, Le café de la plage, Régis Franc, Les B.D. du Matin, 1977


 

Trouvaille et coup de coeur, auteur inconnu.

coup de coeur

C’est pas beau, ça?

Haïti chérie

J’y ai séjourné quelques semaines en 1976, dans le temps de la dictature de Duvalier fils (Jean-Claude, dit bébé Doc, “président à vie” de 1971 à 1986). Quel peuple ami et adorable et tellement résilient. Ils ne méritent pas l’ombre de la moitié d’une chiure de mouche du destin qui ne semble jamais manquer d’imagination pour les accabler encore et encore. L’actualité nous démontre encore aujourd’hui l’ampleur de cette imagination. Dans ces tristes circonstances, je reviens donc avec ce texte revu et corrigé pour égoïstement ressentir encore la beauté de ce peuple et son pays meurtri. Jodi a, nou tout’ sé haitien nou yé.


Ô Dambala

Dambala

Ne jamais envisager vraiment
être un jour plus grands
avant de s’éveiller ébaubis
un matin hors du temps
échevelés entre lune et soleil
un ciel pourpre sur Pétionville
dans l’urgence brûlante
qui n’admet ni résistance
arguments ni régimbance
trois mille kilomètres et un lit
au sud du néant blanc

Tourner, retourner deux corps
pris aux cordes comme des pantins
les sangs retournés
emportés aveuglément
manipulés sauvagement
par la main chaude des tropiques

Alors
tout cela était la vérité
rien que la vérité
toute la vérité
maintenant
au diable déportée
le temps, tout ce temps
le vent du large, la mort
la menace de l’oubli

L’entièreté de ta peau
revient s’étendre sur ma mémoire
un mirage où je rêvais m’échoir
amour, ô combien
la maison perd ses couleurs
quand raide comme soudain
dans la stupeur s’efface demain
tout le temps qui vient
ton souffle et bientôt le mien

Chaque jour j’enfonce
des aiguilles dans le Dambala
chaque matin au loin
j’entends battre les tams-tams
chaque nuit au bord
des rivières et des sources
dans mes rêves saignent des coqs

Dans un grabat de touriste
j’ai appris que la mort serait viable
demain tout aussi radieux
si le présent mourait là

À jamais je me résigne
les passés pas tous narcotiques
sèment sur demain la guigne
y versent un élixir toxique

Je le jure ici
même en l’enfance bénie
jamais aussi près du sentiment
je n’aurais su être tout autant

béni

Comme ce matin
après la tempête
nos corps épaves
en rade sur la vague des draps

Ta main a retrouvé au sol
toute une platée de goyaves
encore juteuses et molles
tranchées en petits bateaux
comme tu les aimais

Je regardais ta bouche
accueillir le rose fruit

Je caressais ta tête
sur ma cuisse, chaude la tienne
la lune aurait bien voulu rester
le soleil, lui, s’installer

Comment toutes ces choses banales
prenaient un goût si délectable
à la minute même si belle
ni la veille ni demain
nanoseconde figée dans l’éternel

quand l’amour démasqué
Dambala, ô Dambala
prince vaudou de la fécondité
avec deux petits enfants

s’en fabriquait des plus grands.

à Denise.


Flying Bum

New_pieds_ailés_pitonVert

En en-tête, Haïti Chérie 2, 2020, tous droits réservés.

Élizabeth Martineau, Média mixte sur papier d’Arches.

En inséré, carte postale d’époque, Hôtel Dambala, Pétionville, source inconnue.

Retours

“le ciel est bleu, la mer est calme…”

Des années-lumière noires sans les retrouver,

présumés fermés à jamais dans l’éternité.

Et là, tout en teintes bronzées,

comme la rouille sur le bulbe d’ail

annonce déjà la fin d’un été,

et avant que le rêve ne s’en aille,

une fillette avec les yeux de sa grand-mère

qui récite se dandinant une comptine vulgaire.

Joies retrouvées ou retour des chagrins,

un grand mystère là s’y trame,

Et quand reviennent tous ces matins…

“… farme ta yeule pis rame.”


Flying Bum

New_pieds_ailés_pitonVert

À propos de la flamme

À propos de la flamme
au musée de mon âme
un portrait invisible
noir et blanc, impossible

Le sable des marées
au diable expatrié
au désert et ses mirages
dans un livre sans pages

Où deux mots ne parlent guère
un autre saura bien y faire
un que je ferai tournoyer
en tous sens ferai danser

Je suis de cette terre où
un poisson apprit à marcher
le feu niche plutôt là où
une sittelle apprit à voler

Et c’est elle pourtant qui va,
mon pied jamais ne touche terre
l’œil ému jamais n’embrassera
beaux airs et toutes manières

Étrange envie encore de pâtir
sentir le sable brûler le sang
le corps sans fin s’alanguir
la raison se perdre au champ

À propos de la flamme
un silence se déclame
dans le souffle lyrique
des augures chimériques.


Flying Bum

New_pieds_ailés_pitonVert

Solstice maudit

D’Épicaste je suis un fils inconnu

d’Ismène le frère ange déchu

langé serré au pied de l’escalier

abandonné au solstice d’un été

Pélerin avant que d’être puéril

errant avant que d’être en exil

il y a de cela trop de lunes

de ces jours sans pitié aucune

Rapinés des fragments de ma mère

dans la vulve des aînées de fratrie

dans le regard heureux des sorcières

les pieds pris dans leurs pièges de nuit

En ce jour qui me rappelle sa mort

de ces jours où s’est tracé le sort

des jours où je ne puis lire Verlaine

sans chialer comme une Madeleine


Flying Bum

À ma mère.

Leic

Un secret joyeux qui marchait

à travers le tracé sinueux

de parades égarées

des piqûres d’épingles

dans un drap comme un ciel

trop lourd sur nos têtes

nos respirs entêtés

lorsque tout au-dessus

s’allongeait sur nous

couvrait nos yeux

nos nez, nos bouches

comme un oreiller poussé là

étouffés dans les fibres

ou était-ce l’oxygène

qui se faisait inutile

l’ordinaire bien futile

et nos ongles endoloris

qui grattaient les murs

comme des enterrés vivants

comme nous avons bien suffoqué

tapis dans nos chevelures infinies.

Un lit si pauvre et petit

peuplé de nos insouciances

entre les strates naissantes

dans une empilade insensée

de rêves fous et de draps doux

pleins à ras cœurs

de montagnes à gravir

de rivières à remplir

de bateaux à construire

d’enfants qui se baignent

de cœurs qui saignent

de la vie qui ne battra plus.

Lentement comme l’ennui

un puits s’emplit sur elle

elle attend que je tombe encore

et toujours pour elle

je m’agrippe à son corps

elle se pend à ma bouche

son cri à mon oreille

qui écoute les sappements

des baisers bien timides

qui jalousement rapinent

ce qui peut rester de goût

sur nos lèvres asséchées.

Des esprits au seuil des portes

baluchons campés sur l’épaule

crient à l’abri! à l’abri! à l’abri!

et la faucheuse se trouve drôle

mes yeux qui roulent vers l’arrière

je vois blanc et je dis noir

je mords dans sa poussière

et je tombe et je tombe et je tombe

dans un grand ciel à l’envers.


Flying Bum

New_pieds_ailés_pitonVert

Existences abandonnées

tout jeunes et tout beaux

on mettait le feu à la noirceur

un grand feu de bois, de camp, de joie

proclamant nos existences romantiques

des roses guimauves à s’en lever le coeur

des licornes et des divines liqueurs

vidangeur même se faisait romantique

tout spécialement vidangeur

tellement satisfaisant et spirituel

dans tout le parfum de nos aisselles

jamais dans un vaste espace

fenestré du plancher au plafond

derrière un bureau où il ne se passerait rien

jamais jamais rien

quelques années de cela

c’est là qu’on croyait tous aller

tout ce qu’on espérait mériter

élevés aux patates pilées

aux forçures de bœuf bien hachées

entre une religion bien catholique

et des grands frères beatniks

on mangerait sur un lit de pissenlits du printemps

des œufs de faisans roulés dans le safran

arrosés de ce que le Jura a de plus pétillant

on monterait une vaste organisation

pour réparer un monde en perdition

ou on partirait photographier la misère

on mettrait le nez des autres dedans

on jouerait de la musique pour l’éternité

écrirait des poèmes à s’en écoeurer

et le succès viendrait comme une brûlure

ou une démangeaison envahissante

et même la gloire nous serait méprisable

si nous n’avions pas eu de famille

on irait coucher chez les voisins

ou on essaierait la vie en tribu

nus dans des huttes au Wisconsin

ou dans des grandes piaules à Rouyn

on se baignerait dans des vérités absurdes

on laisserait pousser tous nos poils

et on goûterait à toutes les vulves

on fréquenterait une femme de loin notre aînée

ou une demoiselle beaucoup moins âgée

on goûterait à l’homosexualité rien qu’un été

ou on ferait d’autres folies à lier

là où il neigerait toute l’année

le sexe aurait toujours été bon

nous le savions rien qu’en dansant

sexe d’hôtel avec elles

sexe de cuisine avec une pas fine

un sexe sans âge et sans visage

sexe à la dope qui ferait de nous des nuages

pas tellement penser aux morts

qui viendraient bien assez tôt

d’aussi loin que les étoiles

vêtus de guenilles ou de riches linceuls

de couches de papier d’aluminium

ou de superbes papiers de Noël

coiffés de longs chapeaux ridicules

ils viendraient aussi tels qu’ils sont

sans eux-mêmes apprécier la fin

si d’aventure la mort se présentait

s’invitait à la fête sabordée

on n’aurait qu’à cesser pour de bon

de porter nos ornières de bouffons

on contournerait désormais

ou tous ensemble on ralentirait

on retrouverait nos amis

rechargés dans une nouvelle vie

on se réincarnerait en aigles

en lions ou en beaucerons

et si on n’aimait pas les aigles

ni les lions ni les beaucerons

alors en belles filles

ou en anguilles

et ce serait aussi bon.


Flying Bum

New_pieds_ailés_pitonVert